Peter Doherty & Frédéric Lo – « The epidemiologist »

Malheureusement pour lui, en dehors du mince public féru de pop indépendante, l’anglais Peter Doherty est surtout connu pour ses incursions dans la mode, et plus encore pour ses frasques, sa jeunesse déjantés et dissolue (pour être poli), et surtout pour sa relation avec le top model Kate Moss, qui lui a valu d’être poursuivi par les paparazzi et de faire très souvent la une des tabloïds anglais, notamment quand il a été condamné à 14 semaines de prison ferme, en 2008, pour conduite en état d’ivresse et non-respect des conditions de sa liberté conditionnelle.

Il est triste de voir cet homme réduit à ça aux yeux de beaucoup, car Peter Doherty n’est pas que le camé scandaleux que beaucoup décrivent, loin de là ! C’est aussi et surtout un artiste extrêmement créatif, qui détient de très nombreuses cordes à son arc : il est auteur, compositeur, interprète, poète et peintre, et il a fondé à la fin des années 1990 un excellent groupe, The Libertines.

Depuis sa période faste (en musique et en polémiques), Peter Doherty, qui aujourd’hui a renoncé à son diminutif Pete, s’est bien calmé. Lui qui ne voyait jamais son fils est aujourd’hui décrit par son ex compagne comme un « bon père » , il ne traîne plus guère dans les clubs londoniens, et il s’est marié en 2021. Un signe de plus, peut-être, que la tête brûlée s’est un peu posée : depuis 2015 il s’est installé à la campagne en France, d’abord à Melun (ne me demandez pourquoi), puis à Étretat (là je comprends mieux). Dans ces paysages bucoliques il vit des moments pépères (vu la rondeur de ses joues j’imagine qu’il apprécie « no limit » la gastronomie française), et il a aussi pris l’habitude d’y écrire, d’y composer, et parfois même d’y enregistrer.

Pendant le premier confinement de 2020, Peter Doherty a été rejoint en Normandie par le compositeur et producteur français Frédéric Lo, surtout connu pour son travail sur le merveilleux album qui avait marqué le retour de Daniel Darc parmi les vivants, « Crève-coeur » . Tous les deux ont créé un disque dont le titre fleure bon le dandysme so british (« The fantasy life of poetry & crime » ), mais qui est aussi celui de l’apaisement, loin du rock fougueux et de la presse à scandales. Le duo fonctionne à merveille : la plume poétique élégante de Peter est subtilement mise en musique par les compositions impressionnistes et les arrangements malicieux, subtilement ciselés, délicieusement nostalgiques, de Frédéric.

La chanson titre, pleine de charme, d’élégance et de fantaisie, contient une référence à l’une des plus fameuses figures de la cité balnéaire, Arsène Lupin (Peter Doherty s’amuse à d’ailleurs faire rimer « crime » avec « Seine Maritaïme » ), mais elle est surtout une ode joyeuse à la douceur de vivre à Étretat, aux moments de tranquillité éphémère qu’on peut y vivre entre amis, ce qui a manifestement été le cas des deux compères pendant lorsqu’ils ont créé ce disque.

Mais je préfère encore la deuxième chanson, « The epidemiologist » .

Ce morceau est une sublime ballade rythmée, subtile et désarmante de beauté. Elle s’ouvre sur une magnifique chute d’accords et d’arpèges de piano, qui reviendra plusieurs fois, redoublée et agrémentée par les arrangements de l’orfèvre Frédéric Lo et par la voix d’équilibriste de Peter Doherty.

Si cette suite de notes descendantes revient souvent dans cette chanson, c’est par définition parce que la mélodie rebondit et s’envole autant de fois qu’elle s’affaisse. C’est là toute la beauté de « The epidemiologist » : comme l’a confessé Peter Doherty, la chanson exprime le désir farouche « d’avoir de l’espoir lorsque c’est le chaos” . Le parallèle avec Daniel Darc est ici saisissant : dans les deux cas, un rocker maudit, profondément abîmé par les drogues, donné perdu dans les tréfonds pour la musique et pour la vie sociale, a décidé un jour qu’il voulait revenir à la vie, et renaît de ses cendres tel un phénix. Ces histoires de rédemption sont de celles qui me touchent le plus, toujours…

Mais la vulnérabilité demeure. Peter Doherty a parfois la voix qui se brise, il chante comme s’il était en équilibre instable, fildefériste retenu par un câble mince et fragile au dessus de ses gouffres intimes. L’auto-destruction reste pour lui une tentation qu’il a du mal à écarter : « I lurch headlong into atrocities » (littéralement « Je fais une embardée la tête la première dans les atrocités » ). Cela dit, ce n’est pas parce qu’il a parfois échoué dans son entreprise pour redevenir sobre et marcher droit qu’il a perdu le courage de recommencer et l’espoir de réussir : « A wish that is wasted still can be granted » .

Belle et émouvante leçon : l’ascension suppose une chute préalable, et donc toute chute peut être suivie d’une nouvelle ascension, tant que la force de vie nous y pousse. Merci Peter.

« Oh yes, I search and I search »

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