Du temps où je postais sur FB, j’ai plusieurs fois relayé des posts de l’excellente page « The dendrobate doctor », qui réalisait (et réalise encore) une veille de l’actualité sur le COVID, chaque dimanche soir. La jeune et brillante femme qui tient cette page, médecin de son état, maîtrise suffisamment bien le sujet pour éparpiller façon puzzle les navrants délires complotistes sur la plandémie, la grippette et le vaxin qui était censé nous tuer toutes et tous (on attend toujours l’hécatombe). Mais comme elle est passionnée d’épistémologie et de sociologie des sciences, The dendrobate doctor a élargi son terrain de jeu et elle a pris l’habitude de publier aussi des posts sur la démarche scientifique en général (et sur la façon dont les complotistes la tordent et la maltraitent parce qu’ils ou elles ne comprennent strictement rien à la façon dont les énoncés scientifiques sont produits et validés). C’est toujours intéressant et stimulant, et bien souvent c’est carrément passionnant.
Non seulement sa page est très informative, mais en plus son style est direct et souvent très drôle, ce qui ne gâche rien. Si vous êtes sur le réseau bleu, je vous invite donc vivement à vous abonner à sa page, si vous ce n’est pas déjà fait.
Ce dimanche, la chronique de The dendrobate doctor était notamment consacrée à une toute récente étude sur les mâles alpha chez les primates, publiée le 7 juillet dans la prestigieuse revue scientifique PNAS (« Proceedings of the National Academy of Sciences »).
Cette étude a fait beaucoup de bruit, notamment dans les milieux masculinistes, qui utilisent abondamment le concept de mâle alpha alors que celui-ci, c’est maintenant démontré, n’a a strictement aucun sens chez les primates, et encore moins chez Homo sapiens sapiens. Je résume ci-dessus l’analyse de The dendrobate doctor, en m’appuyant aussi sur plusieurs articles parus depuis le 7 juillet : tout cela est dévastateur pour ce courant de pensée qu’est le masculinisme (si on peut appeler ça une pensée…)
//////
L’étude en question est une méta-analyse qui regroupe 253 études réalisées depuis 75 ans sur le concept de mâle alpha chez 121 espèces de primates. Les médias ont abondamment relayé cette étude en mentionnant très souvent que la notion de mâle alpha n’existe que dans 17% des espèces étudiées. A priori ce chiffre très faible devrait déjà faire pâlir les mascus, mais la réalité est encore pire (pour eux).
1) Le concept « Alpha » sert à désigner la position sociale et hiérarchique d’un individu à un instant T, et rien de plus (il ne dit strictement rien sur les facteurs qui permettent à certains mâles de dominer leur groupe). Dans toutes les espèces animales où il signifie quelque chose, aucun individu n’est né pour être dominant, et aucun ne meurt dominant (sauf de mort violente). The Dendrobate doctor fait la comparaison avec le statut de manager chez les humains : « Vous avez beau être le manager de 200 personnes, à moins que vous mourriez d’une crise cardiaque dans l’open space, un jour vous partirez à la retraite, vous serez remplacé à la tête du groupe et vous irez tranquillement finir votre vie loin des combats de pouvoir à biner votre jardin. » Autrement dit, « alpha » ne désigne absolument pas des individus qui seraient dotés de caractéristiques personnelles qui leur permettraient de dominer leur groupe (et éventuellement de dominer les femelles, voire de les exploiter sexuellement), mais seulement une position dans un groupe – une position toujours révocable.

2) Le concept d’alpha a été étudié / observé dans de nombreuses espèces animales, et il s’avère que même quand il semble à première vue pertinent, il ne s’applique pas forcément à un mâle dominant. Parfois il y a des femelles alpha, parfois il y a des couples alpha (par exemple chez les loups), parfois il y a des tandems alpha (c’est fréquent chez les chimpanzés, qui préfèrent régulièrement être deux à la tête d’un groupe). Donc le plus souvent, exit le fameux « mâle alpha ».
Ceci est particulièrement vrai chez les primates, qui sont une famille extrêmement diversifiée « dans laquelle à peu près toutes les configurations existent, depuis le harem des babouins jusqu’à la polyandrie des tamarins. »
3) La méta-analyse publiée le 7 juillet ne dit absolument pas que seules 17% des espèces de primates fonctionnent avec un mâle alpha. De façon significative, le terme « alpha » n’est mentionné qu’une seule fois dans l’article de PNAS, « pour parler de certaines sociétés où les jeunes femelles ont des stratégies de contournement pour éviter le risque de s’accoupler avec leur père « dû à sa longévité en position alpha ». » Au passage on retombe ici sur l’idée, fondamentale, que c’est la position qui est alpha, et pas l’individu qui l’occupe de façon momentanée.
Ce que dit réellement l’équipe de chercheurs, « c’est que les sociétés primates où les mâles (…) obtiennent les faveurs des femelles par différents degrés de coercition ne représentent que 17% des espèces étudiés. En clair, les espèces de primates où ce sont les mâles qui imposent la reproduction sont une très petite minorité. (…) Même lorsqu’ils ont un avantage ou une domination physique et/ou hiérarchique, les primates choisissent très rarement la force ou la violence » pour organiser les rapports entre les mâles et les femelles, y compris et surtout les rapports sexuels.

4) Comme le fait justement remarquer The dendrobate doctor, c’est là qu’on en vient à ce qui a fait bondir les mascus de service (notamment les « coaches en séduction »). Ceux-ci passent leur temps à s’appuyer sur le concept de mâle alpha pour prétendre qu’il justifie le droit « naturel » qu’auraient les hommes (en tous cas les hommes alpha) de forcer des femmes à avoir des relations sexuelles avec eux. Manifestement, ça leur a fait un peu mal au cul (enfin, à ceux qui sont capables de comprendre) de découvrir qu’en réalité il y a très peu de groupes de primates dans lesquels le concept de mâle alpha fait sens.
Mais comme je le disais, il y a pire pour les mascus : ce que cette étude laisse supposer, c’est que le concept d’alpha n’a a strictement aucun sens chez les humains (et donc que leur discours est tout entier fondé sur du vent). Pourquoi ? Tout simplement parce que contrairement à ce qui se passe chez les chimpanzés, les gorilles ou les babouins, Homo sapiens est une espèce dans laquelle les individus appartiennent à plusieurs groupes sociaux différents en même temps (un groupe familial, un groupe parental ou conjugal, un groupe professionnel, des groupes d’amis, un groupe de voisins, etc.). Or, « personne n’est en posture dominante dans l’intégralité de ces groupes. »
>> Autrement dit, parler de « mâle alpha » est une pure aberration. « Toute cette histoire de « devenir le mâle alpha » ça ne fait aucun sens, puisque que personne n’« est » un alpha et ensuite domine les autres, en particulier les femmes, en particulier sexuellement ; le groupe « a » un, une ou des alpha(s) qui est en place tant que la dynamique le permet ou que les autres membres l’acceptent. »
Ah, une dernière chose : quelle est l’espèce de primates dans laquelle l’activité sexuelle est la plus développée ? Les bonobos. Et que nous apprennent les éthologues qui ont étudié cette espèce ? Que les mâles bonobos ne sont pas violents et qu’ils ne forcent jamais une femelle à avoir une relation sexuelle.
Je reprends alors la conclusion de The dendrobate doctor : « Je pense qu’il y en a quelques-uns qui auront besoin de s’asseoir un moment pour méditer. » Et j’ajoute la mienne : quand un homme a forcé une femme à avoir des relations sexuelles, la place de ce pervers est en prison, point barre.
Le post complet de The dendrobate doctor est ici : https://www.facebook.com/TheDendrobateDoctor/posts/pfbid08LCtkKKxPgCSKSK41veEtsYZkHDgzJNhQQb36Da5G3CcYkG8x1Hnrxc57vJDHXufl