Après le miraculeux « Mysteries », que j’avais partagé dans ma première année en musique, voici un autre joyau du premier album solo de Beth Gibbons (précédemment chanteuse de Portishead), en collaboration avec Paul Webb, l’ancien bassiste de Talk Talk (qui pour l’occasion a pris le pseudonyme de Rustin man).
Le disque s’appelle « Out of saison », sans doute parce qu’il est intemporel, mais la plupart de ses chansons, notamment celle-ci, sont pétries du spleen qui afflue chez tant de personnes, à commencer par moi, à l’arrivée de l’automne, cette saison où il pleut des cordes comme dans beaucoup de chansons de Beth Gibbons. L’automne, cette saison où les jours de pluie et de frimas nous font frissonner et où tout dans la nature semble illustrer notre fatigue et nos défaites – le jaunissement et la chute des feuilles, les jours qui raccourcissent à toute allure… L’automne, cette saison où l’arrivée du froid et de l’ombre nous donnent encore plus envie de nous terrer dans les refuges que nous avons réussi à nous aménager, qu’il s’agisse de notre petit chez nous bien chauffé ou des bras des personnes que l’on aime. L’automne, cette saison où lorsque l’on sort, avec bottes et ciré, on ramasse et on récolte des fruits ou des petits trophées, par exemple des noix ou des châtaignes que l’on fera rouler machinalement dans la poche de son manteau, en attendant le retour des beaux jours. Je me suis toujours senti maussade à l’arrivée de cette saison, et c’est peut-être aussi pour cela que j’aime tant cet album qui est tout entier un éloge un peu neurasthénique de l’introspection et de la mélancolie: délestée des arrangements torturés et des rythmiques trip-hop de Portishead, Beth Gibbons se contente de mettre son âme à nu, sur des rythmes folk qui oscillent entre le douloureux et le langoureux…
Lorsqu’elle chantait avec Portishead, la voix de la voix de la chanteuse de Bristol semblait souvent être issue du fond des âges du blues et du jazz, avec un ton vibrant et parfois même nasillant, comme chez Billie Holiday – avec dans les deux cas la même expression criante d’affliction. Mais elle pouvait aussi chanter avec une « voix blanche, très claire, en apparence détachée, cristalline, cachant la douleur sous un voile de pudeur » , selon la belle formule de Michka Assayas.
Sur ce merveilleux « Sand river », c’est le deuxième registre que Beth explore. Elle chante ici avec une douceur infinie, comme une maman qui accompagne son enfant dans le sommeil – et pour moi il n’y a guère de choses plus tendres et plus émouvantes qu’une maman qui chante pour accompagner son enfant dans le sommeil.
Il paraît qu’après avoir assisté au premier concert londonien en solo de Beth Gibbons, son complice au sein de Portishead Geoff Barrow a dit: « Elle n’a jamais chanté aussi bien avec nous! » Je suis tellement d’accord. Et c’est d’autant plus émouvant que Beth est accompagnée par des arpèges de guitares fragiles, par de douces mélodies à la flûte synthétique, par une rythmique discrète et presque timide, par des choeurs angéliques… C’est comme si tout le monde autour d’elle était attentif à ne pas profaner sa voix.
Comme l’a écrit un chroniqueur, « Si vous pensez que votre esprit n’est plus capable de s’émouvoir, jetez vous sur cet album. Personne ne peut rester indifférent. » Là aussi, ça me paraît incontestable: à vrai dire, je ne comprends pas bien comment on pourrait ne pas fondre à l’écoute de ce morceau…
« Autumn leaves
Beauty’s got a hold on me
Autumn leaves
Pretty as can be
Everybody knows this time
Shadows are driftin’ in silence »