Benjamin Biolay, c’est un peu le dandy qu’il est tentant de détester, pour plein de raisons.
Parce qu’il chante d’une voix sourde, pâteuse et pas toujours juste.
Parce que ses textes se complaisent trop souvent dans le registre cynique, dépressif ou nihiliste.
Parce que ses compositions flirtent parfois avec le maniéré, voire le grandiloquent.
Parce qu’il semble afficher en permanence une moue désabusée, blasée et suffisante.
Parce qu’il a le chic pour se mettre à dos la moitié des artistes français, même au moment même où ils ont (re)conquis une respectabilité (voir ses attaques contre Henri Salvador à la sortie de l’album « Chambre avec vue » et du merveilleux « Jardin d’hiver » ).
Parce qu’il a fricoté avec une chanteuse issue de la Star Ac (Élodie Frégé) – ce n’est quand même pas très sérieux, n’est-ce pas.
Parce qu’il a rempli les rubriques people du fait de son mariage avec Chiara Mastroianni.
Parce qu’il se montre quelquefois arrogant et désagréable sur les plateaux ou en interview…
N’en jetez plus.
J’en connais quelques-unes qui, en sa présence, mourraient d’envier de lui balancer leurs quatre vérités et de lui dire en substance: « Faites un peu d’efforts pour mieux chanter, arrêtez de tirer la tronche, ou mieux encore fermez la et faites vous oublier. »
Dans sa vie personnelle aussi, on dirait que Benjamin Biolay n’arrive pas à se défaire d’une compulsion d’échec qui s’explique en grande partie par une enfance et une jeunesse traumatiques à l’ombre d’un père fuyant et méprisant (j’en ai parlé dans ma chronique de « Négatif » ).
Le résultat est que Benjamin Biolay a des airs de gâchis incarné. C’est un homme qui aurait tout pour réussir, le talent et la gueule de l’emploi, mais qui semble s’acharner à faire en sorte que tout finisse par se vautrer dans les grandes largeurs, à commencer par ses histoires d’amour. Il donne l’impression de n’avoir qu’une obsession en tête: donner le bâton pour se faire battre, plomber l’ambiance, gâcher la fête, exaspérer ceux-là mêmes qui ne demandent qu’à le défendre, et au final justifier sa réputation de tête à claques.
Je dois dire que c’est précisément une des raisons pour lesquelles j’ai beaucoup de tendresse pour Biolay. Il me fait l’effet d’être un homme qui se réfugie dans l’arrogance pour masquer une fragilité dévorante, un homme qui se démène, maladroitement, pour se protéger de cela même dont il sent bien qu’il a profondément et désespérément besoin: la reconnaissance, l’affection, la compassion, le sentiment de faire partie, d’être en lien, d’éprouver de l’empathie autour de lui.
Avec « Little darlin' », Biolay ne résiste pas à la tentation de laisser s’exprimer son côté sale gosse (« J’ai ma devise, / j’ai mon dicton: / les gens c’est tous / de sacrés cons » ). Ça ne vole pas très haut, et ce n’est pas avec ça qu’on va obtenir les félicitations du jury, ni sa sympathie – surtout avec un chant aussi négligent.
Mais « Little darlin' », c’est aussi la chanson d’un type qui se met minable pour conserver l’attention et obtenir le pardon de la fille qui lui a tapé dans le coeur, mais qu’il a blessée par sa désinvolture. Il le fait avec maladresse, soit. Il n’augmente sûrement pas ses chances en se montrant si paumé (« Je dérive » , « Mon univers est carcéral » ), en avouant ses torts, ses échecs et ses désillusions de façon aussi impudique et décourageante (« Mon amour, j’ai pêché / (…) mon amour, j’ai échoué » ).
Mais il y a quelque chose de superbement téméraire dans cette démarche. Il y a aussi quelque chose de troublant dans la composition de cette chanson, dans ces boucles de gratte, dans ce pont au piano solo qui démarre à 3’57, dans ce sample étonnant d’un morceau de Jimmie Rodgers enregistré en 1931, dans ces choeurs nasillards qui traînent leur misère tout au long de la chanson sur une musique un peu lancinante, et qui finissent dans une ambiance carrément country… J’adore aussi ce refrain qui semble s’arracher à la pesanteur, difficilement, douloureusement sans doute, mais enfin il y arrive tant bien que mal, et il nous offre un peu de légèreté.
Magnifique, une fois encore.
« Mon amour, j’ai basculé
de l’autre côté »