Pendant que la France s’embourbe dans la crise politique, l’administration Trump continue à pousser ses pions pour transformer les États-Unis en régime autoritaire, réactionnaire et suprémaciste.
Cela fait des mois qu’elle envoie des réservistes dans des villes dirigées par des démocrates, suscitant à chaque fois des réactions fermes de la justice car ces décisions sont anti-constitutionnelles. En juin, des soldats de la Garde nationale ont été envoyés à Los Angeles pour réprimer des manifestations opposées aux raids migratoires, puis en août 2.000 soldats ont été envoyés à Washington D.C., et Donald Trump a autorisé des déploiements à Chicago, Baltimore, New York ou encore La Nouvelle-Orléans (que des bastions démocrates, bien entendu).
Il y a quelques jours, Donald Trump est allé encore plus loin : il a décidé de mobiliser 300 soldats californiens dans l’Oregon voisin, à Portland, sous prétexte que cette ville est « en train de brûler » , que des « insurgés » y sèment le chaos, et même que c’est carrément une « zone de guerre » . L’autre jour il accusait Chicago d’être « la capitale mondiale du meurtre » . Évidemment ces descriptions sont totalement absurdes et mensongères : il y a certes des manifestations contre les raids de la police de l’immigration (ICE), mais on est à mille lieues d’une guerre civile, et même la délinquance habituelle est sous contrôle : À Washington D.C. par exemple, les crimes violents ont chuté de 26% en 2025, et les homicides de 12%, d’après la police locale ! Comme je le dis depuis des mois, Donald Trump est un pompier pyromane qui essaye de créer le chaos de façon cynique, pour pouvoir justifier la mise en place de mesures de maintien de l’ordre qui lui permettront d’avancer dans la mise en cause de la démocratie, qui est son agenda.
Plusieurs choses à dire à propos de ces provocations trumpistes.

D’abord, elles n’ont aucune légitimité et elles sont même carrément illégales. D’après la juge de l’Oregon Karin Immergut, Portland ne représente aucun « danger de rébellion » , et la décision du président des États-Unis est donc clairement un abus de pouvoir. La décision rendue dimanche par cette juge est sans équivoque : « Ce pays a une tradition ancienne et fondamentale de résistance à l’ingérence excessive du gouvernement. Cette tradition historique se résume à une proposition simple : ceci est une nation régie par la loi constitutionnelle, et non la loi martiale. » De fait, la loi Posse Comitatus interdit l’utilisation des forces armées fédérales pour le maintien de l’ordre sur le territoire des États-Unis, et une série de décisions judiciaires a bloqué les déploiements illégaux décidés par Donald Trump depuis le début de l’année.
Ensuite, ces décisions sont anticonstitutionnelles. La Garde nationale est sous l’autorité des gouverneurs et son rôle consiste à intervenir lors de catastrophes naturelles, d’émeutes locales ou de menaces sur la sécurité de l’État. Comme le dit Cécile Coquet-Mokoko, professeure de civilisation américaine, « Elle est normalement placée sous l’ordre du gouverneur de l’État, qui dispose d’une souveraineté locale comparable à un mini-président : il a son gouvernement, sa cour suprême et ses forces de sécurité » . À moins de circonstances tout à fait exceptionnelles (et on en est extrêmement loin), le président des États-Unis n’a strictement aucune légitimité pour s’en emparer et pour les instrumentaliser, qui plus est si c’est pour les déplacer d’un État vers un autre. « Ce serait un peu comme si l’Union européenne réquisitionnait des réservistes allemands pour réprimer des rassemblements en France » . Si cela arrivait en Europe, on imagine la réaction de la Bollosphère et des comploplos d’extrême-droite (Philippot, Asselineau, Dupont-Aignan…), mais là c’est pour mettre au pas des démocrates « extrémistes », donc ça passe crème sur C-News.
On pourrait faire remarquer que dans les années 1960, le président Eisenhower avait déployé certaines unités fédérales lors des luttes pour les droits civiques, mais c’était dans un cadre et avec un objectif totalement différents : à l’époque il s’agissait de « protéger des élèves noirs dans des lycées récemment déségrégués. Mais ici, cette pratique semble déployée pour faire peur et empêcher les Américains de manifester« , dénonce Manon Lefebvre, maîtresse de conférences en civilisation américaine.
Le pire, sans doute, est que Donald Trump lui-même a théorisé sa stratégie dans le discours délirant et effrayant qu’il a débité à Quantico devant 800 généraux et amiraux de l’armée américaine, et dans lequel il a explicitement proclamé que l’armée américaine doit être recentrée sur la « guerre de l’intérieur » contre « l’ennemi intérieur » , et qu’elle doit considérer les villes démocrates comme un « terrain d’entraînement » (!!!) Ce type l’affirme haut et fort, il n’est pas le président de tous les Américains (et encore moins celui de toutes les Américaines), mais il est le président de celles et ceux (surtout de ceux) qui veulent que les États-Unis redeviennent un pays raciste et qui fonctionne sur le principe de la loi du plus fort. Toutes celles et tous ceux qui émettent la moindre objection quant à la légitimité de ce projet politique sont rangé·es dans la catégorie des ennemis de la nation, voire des terroristes, et dès lors il est légitime d’employer la force et de leur envoyer l’armée pour les faire taire, pour les intimider, et in fine pour les anéantir.
En tentant de contourner les restrictions constitutionnelles et légales et d’imposer des ordres exécutifs pour envoyer l’armée mater ses opposants, Donald Trump agit clairement de façon anti-constitutionnelle. Cela signifie une chose très claire : il enfreint les règles de l’État de droit. Et un dirigeant politique qui fait cela porte un nom : c’est un dictateur.
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Pour une analyse plus détaillée sur les enjeux constitutionnels et politiques de cette provocation trumpiste, cf. ce très bon article: « L’Insurrection Act, la loi d’exception que Trump menace (encore) de ressusciter«
[EDIT. Le soir même, on apprend que sur son réseau Truth Social (Truth 🤔😯🙄), Trump a écrit que « Le maire de Chicago devrait être en prison pour ne pas avoir protégé les agents de ICE ! Le gouverneur Pritzker également ! » Une énième manifestation de sa volonté de punir ses ennemis politiques. De pire en pire…]
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