The Script – « The man that can’t be moved »

Je ne sais pas si j’ai une mémoire auditive, mais le fait est que j’associe très facilement et spontanément certaines musiques à des moments de ma vie, exactement sur le principe de la madeleine de Proust.

C’est le cas pour cette chanson que j’ai entendue pour la première fois, je crois, dans un court reportage consacré à Roger Fededer, diffusé quelques minutes avant qu’il dispute contre le suédois Soderberg une finale à Roland-Garros – la seule qu’il ait jamais gagnée de sa vie, c’était en 2009. Je me souviens que j’étais tendu à l’approche de ce match, car je savais que pour « Rodgeur » c’était une occasion historique de gagner ce tournoi, puisque cette fois-ci il n’avait pas en face de lui sa bête noire de l’époque sur terre battue, Rafaël Nadal (que j’appelais « el bourrino » ).

Or je n’étais pas loin de vénérer Federer, que j’appelais « Dieu » (pas « dieu du tennis », mais « Dieu » tout court). J’ai pas mal joué au tennis dans mon enfance et mon adolescence, j’ai atteint un classement assez honorable (15/1), et j’étais donc bien placé pour apprécier à sa juste mesure le talent inouï de ce joueur, la souplesse, la facilité et la légèreté de ses déplacements, sa faculté à construire le point lentement et implacablement, la variété extraordinaire de son jeu, son coup d’oeil, sa créativité et sa spontanéité (ah les amorties gagnantes sur retour!), son timing… Comme j’ai souvent dit, « Toi qui débutes en tennis, si tu veux apprendre comment on sert, regarde Federer servir, si tu veux apprendre comment on joue un coup droit, regarde Federer jouer un coup droit, si tu veux apprendre le revers slicé, regarde celui de Federer, si tu veux apprendre à smasher ou à volleyer, regarde Rodgeur smasher ou volleyer, etc. » Et je ne parle même pas de la classe et de l’élégance du bonhomme, de son fair-play, de son calme olympien (alors que dans sa jeunesse il était très irascible et il a pété pas mal de raquettes)…

Bref, pour l’ancien jeune tennisman que j’étais, qui rêvait quand il était gosse de gagner Roland et la Coupe Davis, Federer, c’est le sang. D’ailleurs je ne suis plus le tennis depuis qu’il a pris sa retraite: pour moi ce sport n’existe plus, il ne reste que des bûcherons qui tapent fort des deux côtés. Deux de ces musclés ont un meilleur palmarès qui lui et peuvent mieux que lui prétendre être le GOAT, mais ils n’atteindront jamais sa cheville: Nadal et Djokovic jouent au tennis (formidablement bien), mais Federer EST le tennis. Nuance.

Quoi qu’il en soit, quand à trois quarts d’heure de cette finale qui allait peut-être s’avérer historique, j’ai vu un court reportage sur les plus beaux points de la carrière de Rodgeur, la chanson qui l’illustrait s’est tout de suite gravée dans ma mémoire.

Cette chanson, c’était « The man who can’t be moved ».

Rien d’exceptionnel, de la variété internationale produite proprement. Mais le soir même, j’ai compris que je ne pourrais plus jamais écouter ce morceau sans penser à Rodgeur et à cette finale enfin gagnée.

Cette chanson parle d’un homme éconduit qui, un matin, décide de se lancer dans un acte de foi: pour montrer son amour à la femme qu’il aime, pour la faire revenir à lui, il va l’attendre inlassablement, avec son sac de couchage, à l’emplacement exact où il l’a vue pour la première fois (« On the corner of the street » ), et il montrera sa photo aux passants en leur demandant « If you see this girl, can you tell her where I am? » Bien sûr cette décision a quelque chose de déraisonnable, d’absurde (et même d’irrespectueux pour cette femme: ce type a l’air d’avoir un petit problème avec la notion de consentement). Mais c’est qu’il a une foi inébranlable dans le fait que s’il est patient, un beau matin elle se réveillera et elle aura envie de le rejoindre.

Je ne suis plus trop friand de ce genre de déclaration enflammée. Je n’ai plus #quinzeans…

Mais quand deux êtres s’aiment et sont éloignés, ça leur fait du bien de se dire mutuellement, de savoir qu’ils se disent mutuellement en secret, qu’ils s’attendent et qu’ils sont là l’un pour l’autre. C’est à peu près ce que dit cette formule toute simple, qui revient à plusieurs reprises, et qui me touche par son obstination romantique: « I’m not moving » , ou « Je suis là » .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *