Voilà un deuxième extrait de cet excellent album de Ride qui, au début des années 90, représentait « l’aile mélodique » de la noisy pop et du shoegazing (référence au fait qu’en concert, les jeunes guitaristes de ce courant passaient une bonne partie du temps le nez dans leurs baskets, concentrés sur les pédales d’effet).
L’un des travers (pour moi) de ce mouvement musical, c’est que parfois il cédait à l’envie de faire du boucan pour le plaisir de faire du boucan, avec des morceaux qui provoquaient un certain malaise auditif (et même un malaise auditif certain). Il paraît par exemple que My bloody Valentine commençait ses concerts par une dizaine de minutes de guitares saturées et de larsens stridents, pour décourager les oreilles fragiles et ne garder que les fans les plus endurcis.
Rien de tout cela chez Ride, sur cet album en tous cas. Ici le bruit est une possibilité toujours ouverte, il conclut rageusement certains titres (comme le formidable « Leave them all behind » , que j’ai partagé en novembre), mais il n’efface pas du tout la recherche de mélodies entraînantes.
Cette chanson en est une très bonne illustration, avec notamment ces riffs nerveux de guitare sèche dès l’ouverture, puis les nappes de synthé, la belle harmonie vocale entre le chant un peu éthéré et les choeurs, tout cela donnant l’impression de flotter entre deux eaux, ou en apesanteur.
On n’est plus dans la noisy pop et le shoegazing, le son est beaucoup plus sage et mainstream. Si on n’y est pas encore, on se rapproche de la brit pop de Blur ou Oasis, qui dans leur sillage chercheront à recréer un mélange entre un son rock et des mélodies qui mettent de bonne humeur – ce n’est pas pour rien si ces groupes affichent souvent une grande admiration pour les Beatles.
Je me suis rendu compte en réécoutant ce titre que les deux vers qui suivent, bien qu’écrits en 1992, pourraient très bien illustrer des épisodes de « Black Mirror » ou un aphorisme de Jean Baudrillard sur la machine communicationnelle. Nous vivons déjà le règne sans partage des écrans, des smartphones, des réseaux sociaux et des algorithmes, et nous souffrons toutes et tous de l’éloignement que tout cela provoque paradoxalement.
De plus en plus de communication, mais de moins en moins de vraies rencontres.
De plus en plus de connexions sur les réseaux dits « sociaux » , mais de moins en moins de contacts physiques.
De plus en plus de mots lancés sur le net, mais de moins en moins de regards intenses, de gestes d’affection, de doigts qui s’effleurent et s’enlacent, d’embrassades, de caresses et d’étreintes.
La « communication » , encore un « progrès » que nous payons très cher.
« This strange machinery
is keeping you from seeing me »