Geoffrey Oryema – « Land of Anaka »

Je ne connais pour ainsi dire pas du tout ce qu’il est convenu d’appeler les « musiques du monde » , et cet album est l’une des très rares exceptions. Je l’avais acheté par hasard chez un disquaire d’occasion, il m’avait tenté parce qu’il était édité par le label Real world, celui-là même qui avait publié la BO de « La dernière tentation du Christ » de Peter Gabriel. Ça s’est avéré une très bonne pioche.

Paru en 1991, « Exile » est le premier album de Geoffrey Oryema, un auteur-compositeur ougandais qui s’est réfugié en France pour fuir la dictature d’Amin Dada (dans le coffre d’une voiture!), après que son père, alors ministre, a été assassiné.

Sa musique fait une large place à des instruments africains traditionnels aux noms étranges comme la harpe nanga, le sanza, la kora ou le lukeme, mais aussi à des instruments rock comme la guitare électrique, et parfois à des sonorités électro. Il faut dire que Geoffrey Oryema a eu un père professeur d’anglais, et que dans son enfance il a été bercé au rock ou au blues. Sa musique est donc « crossover » , comme il l’a dit lui-même – d’ailleurs il chante en anglais ou en français, mais aussi en swahili et en acholi.

Sur cet album, ma chanson préférée est « Land of Anaka » , un hymne vibrant et ému à sa patrie natale qu’il n’a pas foulée pendant quarante ans, à l’Ouganda (cette « perle d’Afrique » dont parlait Winston Churchill), et plus précisément à ces terres du nord du pays où ses ancêtres sont nés, ont vécu et sont morts, et où ses cendres ont été dispersées lorsque après une vie adulte passée en France, en Normandie puis dans le Morbihan, il est mort en 2018. Geoffrey Oryema disait lui-même qu’il était très critique vis-à-vis de ce que son pays était devenu, et qu’il était pleinement intégré à son pays d’accueil (il avait d’ailleurs pris la nationalité française, et en 2002 il a même déclaré de façon émouvante: « Je ne pourrais plus vivre ailleurs qu’en France, ce pays m’a tendu les deux bras » ). Mais il restait viscéralement attaché à ses racines, et c’est un sentiment qui me touche toujours énormément.

Dans le clip, où on voit Geoffrey Oryema marcher sur des rochers, s’offrir au soleil, aux ombres et à la poussière, vous pourrez apercevoir parmi les choristes ses deux parrains musicaux, émus de le voir démarrer une carrière musicale prometteuse, sur un label qu’ils venaient eux-mêmes de créer: Peter Gabriel et Brian Eno. C’est un joli symbole du fait que dans « Land of Anaka » , le chant mélancolique et nostalgique de la perte et de l’exil se conjugue avec l’espoir et la joie d’un nouveau départ et d’un chemin riche et heureux.

Au fond, la musique de Geoffrey Oryema nous indique que le label « musique du monde » n’a peut-être pas grand sens. Au delà des styles et des instruments qu’elle utilise, la musique, celle qui me touche en tous cas, témoigne toujours de cette expérience essentielle et éternelle qui nous rapproche toutes et tous, au-delà des couleurs et des cultures: on est bien obligé de faire avec ce qu’on a, avec ce qu’on a perdu et qui nous manque, et de faire émerger autant que possible quelque chose de beau à partir de tout ça… quand bien même on sait très bien que tout disparaîtra un jour en cendres, sur les terres de l’Anaka ou ailleurs.

[Un clin d’oeil à Olivier Massou, lui aussi exilé du Cameroun jusqu’à Beauvais, lui aussi enfant d’adoption de la France, et qui m’appelle l’africain blanc depuis des années.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours ressenti une sympathie instinctive pour l’Afrique noire et ses habitant·es. Tant pis pour les clichés, mais j’adore la joie, la simplicité, la décontraction et la générosité de mes ami·es qui en sont issus, et Olivier représente tout ça, tellement bien, avec tellement de chaleur.

Tu me manques, bro.]

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