C’est une chanson humble, sensible et tendre sur la nostalgie des vacances passées en famille au bord de la mer, à une époque où, pour le petit Michel Jonasz en tous cas, et pour la plupart des personnes appartenant aux catégories populaires, partir en vacances était une sorte de parenthèse enchantée: après avoir bûché toute l’année en ayant du mal à joindre les deux bouts, en vivant chichement dans un tout petit appartement de la banlieue parisienne (que Michel Jonasz a décrit ainsi: une cuisine minuscule, une seule chambre où vivaient quatre personne, et « un seul objet de luxe, une belle vieille radio et son cadre en bois vernis… » ) , on profitait à fond des deux semaines de congés payés que le Front populaire avait octroyées aux salariés en 36.
La famille de Michel Jonasz, juive d’origine hongroise, a pris de plein fouet l’horreur pendant la seconde guerre mondiale. Arrivée en France à seize ans, sa mère a perdu la quasi totalité de sa famille suite à la rafle du Vel d’Hiv. Michel Jonasz raconte que quand il était petit enfant, il entendait très souvent parler de la guerre, de la déportation et de la Shoah, et qu’il a toujours su ce que sa famille avait subi. Avec un tel passé, avoir la chance de pouvoir vivre chaque année quelques jours de vacances à la mer lui paraissait sans doute d’autant plus miraculeux – mieux encore qu’une parenthèse, un véritable cadeau du ciel.
Quoi qu’il en soit, les mots de cette chanson sont d’une simplicité confondante, que ce soit pour planter le décor (« au bord de la mer » ) , pour évoquer les personnages de la pièce (« mon père, ma sœur, ma mère » ) , pour décrire l’obligation où ils étaient de « faire attention » à la façon de « dépenser leur argent » (« Quand on avait payé le prix d’une location, / il ne nous restait pas grand-chose » ) , et les activités banales et insouciantes qu’ils pouvaient malgré tout se permettre (« On suçait des glaces à l’eau » , « On regardait les bateaux » , « Sur la plage pendant des heures, / on prenait de belles couleurs » )…
Ce que ce texte décrit est loin des ambiances festives que les plages connaissent aujourd’hui, loin des fiestas, des voitures rutilantes et des sonos poussées à fond – loin du barnum dégoûtant qu’est devenu le tourisme de masse. Il évoque plutôt des enfants et des parents timides, qui savent très bien qu’ils sont en train de vivre des moments de bonheur fugace, et qui s’attachent simplement à ouvrir grand les yeux, les oreilles et les narines, qui sont attentifs à collecter des souvenirs, et qui se promettent de les conserver soigneusement et tendrement dans la mémoire familiale.
Pour décrire les vacances modestes d’une famille modeste, quoi de plus beau et plus émouvant que des mots eux-mêmes modestes, pleins de tact et de justesse ? D’un bout à l’autre de la chanson, grâce au texte discret et sensible de Pierre Grosz, chanté par d’une voix vibrante, on sent le caractère exceptionnel que ces moments avaient pour le petit Michel Jonasz, la pleine conscience qu’il avait de leur rareté et de leur valeur – deux petites semaines avant de repartir sur le toboggan de la vie quotidienne à Blanc-Mesnil.
Musicalement, c’est très subtil aussi. Dans les couplets, le balancement des notes jouées au piano semble évoquer les vagues qui viennent et repartent inlassablement. Dans le deuxième couplet et les refrains, les arrangements amples de cordes et la mélodie qui s’envole délicatement décrivent subtilement les émotions et la douceur de vivre éprouvées à l’époque par le petit Michel – la chaleur du soleil, le vent dans les cheveux flottants, les sons du flux et du reflux de la mer… Ce qui deviendra la « patte » de Jonasz (des mélodies ciselées, des harmonies complexes inspirées par le jazz) est déjà là, avec une sensibilité particulière qu’on retrouvera par exemple dans « Je voulais te dire que je t’attends » ou « Uni vers l’uni » .
Pour la plupart des gens, j’imagine, cette chanson évoque les vacances de l’enfance, dans la famille où on est né.
Pour ma part, elle me fait plutôt penser avec émotion et mélancolie aux moments vécus avec la famille que j’ai construite. J’espère bien que mes enfants ressentent les mêmes sentiments en pensant à ce que nous avons vécus ensemble…
Le pique-nique sur les remparts du Mont-Saint-Michel…
Le tour de l’îlot du grand Bé à Saint-Malo…

Le port de Tréboul…
La plage Saint-Jean, les châteaux de sable, les petits crabes marchant au fond d’un seau, les batailles de chevaliers avec les pelles et les râteaux de plage…
La crêperie « Au goûter breton »…
Le labrador de la logeuse…
Sur le chemin du retour, le pique-nique à Quimper ou à Concarneau, les pizzas sur le port de l’île-aux-Moines avant d’en faire le tour en vélos de location et d’y acheter une glace, ce que nous appelions le « périple » pour rejoindre nos familles, en s’arrêtant ici ou là selon les années…
Des souvenirs et des photos, beaucoup de souvenirs et beaucoup de photos.
C’était bien.
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l’eau
Les palaces, les restaurants,
On ne faisait que passer d’vant »