Ludwig von Beethoven – « Sonate Au clair de lune n° 14 / adagio sostenuto » (Wilhelm Kempff)

À mon avis, le classique et le jazz font partie des musiques pour lesquelles il est nécessaire, si on veut vraiment les comprendre et en profiter, de bénéficier d’un minimum de culture musicale (connaissance des genres, des instruments, de la modalité, des rythmes, des influences…). La musique est un langage, avec ses codes, son vocabulaire et sa grammaire. Si ce langage est très simple (ce qui est le cas pour la variété, la pop, le funk et l’essentiel du rock), on peut l’apprendre seul, grâce au seul plaisir des sens. Mais le classique et le jazz sont beaucoup plus complexes et subtils, à la fois dans l’écriture musicale et dans la façon de jouer des instruments et d’interpréter les partitions (ou d’improviser dans le cas du jazz).

Du coup il vaut mieux ici (en tous cas c’est ce que je crois) être « initié » par quelqu’un qui connaît bien et qui est capable de nous guider et de nous faire découvrir petit à petit.

Il se trouve que quand j’étais petit, mes parents n’écoutaient jamais de jazz, et quasiment jamais de musique classique (en tous cas je ne m’en souviens pas).

Ma première vraie expérience avec la musique classique, c’est ce mouvement célébrissime de la sonate n°14 de Beethoven, dite « Sonate au clair de lune » .

J’avais 18 ans, et j’avais enfin une première relation amoureuse avec une copine. Nous étions ensemble depuis un mois et demi, et nous nous étions retrouvés en région parisienne pendant une journée, au début de l’été. C’était chez sa cousine, qui appartenait à une famille bourgeoise d’artistes et de profs. À un moment, cette cousine s’est mise au piano pour jouer ce mouvement, plusieurs fois. Je ne connaissais rien à la musique classique et j’étais tout à fait incapable de dire si elle avait joué « bien » ou « mal » . Je me souviens juste que j’avais été très impressionné, comme si j’avais eu soudain accès à un univers jusque là inconnu.

Depuis j’ai découvert la musique classique, pour l’essentiel grâce à mon ami Elric, un sacré mélomane. Je l’écoute par vagues, pas du tout pendant assez longtemps, et puis à haute dose pendant quelques jours.

Je n’ai quasiment jamais assisté à des concerts de musique classique, à part une fois au festival de piano de La Roque d’Anthéron. Je me souviens aussi (mais ce n’était pas un concert) d’une masterclass épatante d’Annie Quéfellec au conservatoire de Beauvais, au cours de laquelle j’avais entendu de jeunes élèves travailler des pièces de Debussy.

Mais de toutes façons, en termes d’émotion, jamais aucun concert ne vaudra sans doute cette première rencontre avec la musique classique dans un salon coquet de Bourg-la-Reine.

Cette sonate, que la cousine de ma copine avait jouée devant nous, est aujourd’hui l’une des rares œuvres de Beethoven que j’aime vraiment (avec le mouvement lent de la septième symphonie, les trios et les sonates pour piano et violoncelle). L’ostinato à trois notes jouées en arpège à la main droite, le tempo très lent, le caractère triste des harmonies, l’emploi du registre grave du clavier, le decrescendo final qui donne l’impression que la mélodie se meurt, en font un morceau très poignant: cet adagio est souvent qualifié de « marche funèbre » , et Hector Berlioz l’a décrit comme une « lamentation » .

C’est aussi une musique profondément romantique, que Beethoven a composé suite à une peine de coeur. Il s’était pris de passion pour une de ses élèves, la comtesse Giulietta Guicciardi, alors âgée de seize ans (il en avait lui-même 31), et il était bien conscient que cette différence d’âge rendait toute relation impossible – sans parler de la différence de milieu social. Alors il composa cette sonate, et il la dédia à cette jeune femme, en témoignage de ses sentiments.

Sur le manuscrit, Beethoven a inscrit cette indication: « On doit jouer toute cette pièce avec la plus grande délicatesse » . Délicatesse, c’est bien l’impression qui se dégage de cet adagio, et aussi le souvenir du moment que j’ai vécu en l’entendant pour la première fois à Bourg-la-Reine, joué par une Claire (de lune ?) que je n’ai plus jamais revue.

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