Cinquième album d’Albin de la Simone, « L’un de nous », paru en 2017, est une très belle réussite, avec une évolution musicale assez sensible par rapport au précédent: le piano et les cordes occupent ici une place centrale, et c’est autour de ces deux instruments que les soigneux arrangements ont été patiemment écrits.
En 2013, « Un homme » était l’album de la crise de la quarantaine. Albin de la Simone venait de frôler la mort suite à une alerte cardiaque, et il faisait le point sur sa vie, ses erreurs, ses « coups de bêches » qui ont « tout bousillé » …
Sur « L’un de nous », il semble sorti de cette crise, mais il reste marqué par une grande nostalgie, tenaillé par la prise de conscience du temps qui passe (il faut dire qu’il est bien placé pour savoir qu’il suffit d’une chiquenaude pour passer de la vie à la poussière), hanté sans doute aussi par quelques regrets difficiles à avaler…
Les textes, ciselés, lucides mais tendres, décrivent la lente avancée vers une forme de sérénité, par exemple sur « Une femme », où il décline avec tact et candeur ce joli programme: « L’aimer la vie entière, au moins l’aimer bien / en tout cas mieux qu’hier, moins bien que demain » .
Quant à la voix d’Albin de la Simone, elle est toujours aussi délicate et aérienne, aux antipodes de toute virilité balourde. Peut-être cet homme donnerait-il des arguments à celles qui se plaignent qu' »il n’y a plus de vrais hommes » ? Comme si être un homme ne tenait qu’au tour de biceps, à la testostérone et à l’esprit de compétition…
Mais l’avancée d’Albin de la Simone sur le chemin de l’apaisement est parfois contrariée par un rappel soudain à des réalités déplaisantes. C’est notamment le cas sur ce morceau, le premier de l’album, qui est pour moi la plus belle de toutes ces pépites douces-amères.
« Le grand amour » est la chanson d’un homme qui prend conscience que contrairement à ce qu’il croyait quand il était immergé en plein dedans, le grand amour, ça existe. Malheureusement pour lui (et pour elle ?), il s’en rend compte trop tard, quand ce grand amour s’en est allé, fatigué sans doute par les frasques et le manque d’implication de cet homme trop instable…
Les deux premiers couplets et les refrains décrivent ce qui apparaît, après coup, comme un grand amour, léger, insouciant, joyeux et charmant:
« Elle fumait, je l’embrassais / Je cuisinais, elle m’enlaçait / Elle dansait, je chantais / en anglais, en javanais / Nu sous mon tablier je revivais, / abandonné sous les baisers parfumés
On ne parlait pas d’amour / L’amour, c’est quoi ? / On ne parlait jamais d’amour / Le grand amour, ça n’existait pas. »
Et puis vient le troisième couplet, où la musique se fait plus discrète jusqu’à presque presque se vaporiser, laissant Albin de la Simone dresser ce constat poignant: il n’a pas su faire durer ce grand amour, et il le regrette amèrement.
« C’était l’amour, je m’y connais, / jusqu’à ce jour de fin juillet / Elle souriait, mais je devinais, / le vent avait tourné / Affolé par l’épouvantail / de quelle erreur monumentale, / l’amour, le vrai, le beau, / s’était barré au galop. »
Cette chronique d’un amour fané et avorté est une magnifique façon de mettre en musique la fameuse formule de Jacques Prévert (« On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va« ) , et elle me laisse à chaque fois le coeur fendu.
« Sous un baldaquin de tulle,
une bougie, le clair de lune,
nos deux corps dans une bulle,
le coeur et la fortune »