Je connais très mal David Bowie, au-delà des quelques tubes des années 80 qui, selon la plupart de ses fans et des critiques musicaux, ne sont vraiment pas sa meilleure période (« Let’s dance », « China girl », « Absolute beginners » …). Comme ces chansons ne m’ont pas totalement emballé, je n’ai jamais fait la démarche d’aller écouter des disques plus anciens. J’ai donc de Bowie, je le sais bien, une image très tronquée, celle d’un artiste emblématique du glam rock, outrageusement maquillé et attifé de façon kitschissime, autant de choses qui ont tendance à m’agacer un peu.
Dans un livre consacré à David Bowie, le journaliste musical Michka Assayas a ainsi témoigné de la façon dont a évolué son rapport à cet artiste: « J’ai compris que ce qui m’avait longtemps gêné chez lui était une forme particulière de folie: l’incapacité de savoir qui l’on est vraiment, la nécessité de se mettre perpétuellement en scène pour échapper à un vertigineux sentiment de vide » . Je crois que c’est justement cela, cette démesure dans la représentation de soi, qui me gêne chez Bowie, et plus largement dans le glam rock.
Ces dernières années, j’ai essayé plusieurs fois d’écouter une double compilation, mais je dois dire que je ne me souviens pas de grand-chose, à l’exception de deux chansons que je trouve superbes: « Starman », et « Heroes » .
Cette dernière est sortie en 1977 sur l’album du même nom, qui est le deuxième de la fameuse « trilogie berlinoise » (en réalité c’est le seul qui ait été entièrement enregistré en Allemagne).
La musique est faite de nappes de guitares à la Velvet underground, de claviers et de percussions entêtantes et même répétitives (elle n’a pas été composée pour rien par Brian Eno). La structure de la chanson, les accords, les torsions de la guitare de Robert Fripp, tout ici est très simple, volontairement simple, magnifiquement simple.
Si « Heroes » est devenue un immense tube, la chanson préférée de beaucoup de fans, c’est aussi grâce à l’interprétation vocale de David Bowie. Tout démarre vraiment à 1’15. Après deux premiers couplets chantés de façon assez neutre, détachée, monocorde, et enregistrés par un micro proche, la voix de Bowie se fait soudain puissante, plaintive, rageuse et désespérée, d’autant plus qu’elle est alors enregistrée par un micro plus éloigné, ce qui donne l’impression qu’elle est en train de se perdre, presque de s’étrangler à certains moments. Réécouter « Heroes » , c’est se sentir irrésistiblement pris par l’attente de la montée d’adrénaline et du crescendo final.
Il faut dire que l’histoire chantée par David Bowie est tout sauf un long fleuve tranquille. Un soir de l’été précédent, alors qu’il regardait dans la direction du no man’s land par la fenêtre du studio d’enregistrement où il travaillait, il avait surpris un couple d’amants en train de s’embrasser avec fougue. Ce spectacle d’un amour clandestin (il s’agissait de son producteur Tony Visconti et de sa maîtresse) lui a inspiré un hymne à l’amour, celui si puissant et si fier qu’il ne craint pas de s’exprimer et de se déployer même à l’ombre du sinistre mur de Berlin, de ses barbelés, de ses miradors et de ses gardes armés.
Le message de David Bowie est simple, lui aussi, mais terriblement émouvant: la vie est parsemée de dangers, spécialement dans la RDA de 1977, mais si on la traverse en funambule et si on prend des risques, on peut quand même y trouver des moments de grâce, et même devenir des héros, ne serait-ce que pour une seule journée.
« I, I will be king
And you, you will be queen
Though nothing will drive them away
We can be Heroes, just for one day
We can be us, just for one day »