Jean-Louis Murat – « Réversibilité »

« Réversibilité » est un splendide poème écrit par Charles Baudelaire, dédicacé à madame Sabatier, et publié dans Les fleurs du mal.

Les quatre premières strophes décrivent la déchéance qui menace les anges, et plus largement tous les humains: même s’ils sont pleins de gaieté, de bonté, de santé et de beauté, et même s’ils font tout leur possible pour le rester, ils seront de toutes façons terrassés et ravagés un jour ou l’autre par « la honte, les remords, les sanglots, les ennuis » , par « les vagues terreurs de ces affreuses nuits » , par « les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel » , par les fièvres « qui le long des grands murs de l’hospice blafard / comme des exilés s’en vont d’un pas traînard » … On a beau faire, on a beau ne pas vouloir y penser, c’est l’avenir qui nous est irrémédiablement promis. Baudelaire fait partie de ceux qui ne se mentent pas, qui n’enjolivent pas, qui ne racontent pas d’histoire: très franchement, tout ça ne fait pas envie.

Mais dans une cinquième strophe lumineuse, Baudelaire, pourtant un grand misogyne (il a quand même écrit « La femme est naturelle, donc abominable » ), identifie une source de félicité en la personne d’un ange féminin au « corps enchanté« , qui semble pouvoir résister à cette déchéance. Alors qu’il avait vouvoyé les anges dans les strophes précédentes, il s’adresse à celui-là en le tutoyant, et il l’implore de répandre autour de lui tout ce dont il est plein, à savoir le bonheur, la joie et les lumières (au pluriel).

Il est difficile de mettre en musique une poésie aussi géométrique (cinq strophes de cinq vers), implacable et strictement classique, avec ses alexandrins et ses césures à l’hémistiche, et sa construction qui donne l’impression que les cinq strophes sont autant de refrains.

Jean-Louis Murat y parvient, brillamment.

Sorti en 1996, l’album « Dolores » fait partie de ceux dans lesquels l’auvergnat écorché vif utilise abondamment des synthés vaporeux, et ici cela fait merveille: la musique est lente, lancinante, métronomique, comme pour illustrer le caractère implacable et déprimant des vérités que le texte expose.

Vocalement, Murat prend le parti de l’élégance et de la sobriété, et il déclame le poème de manière scrupuleusement fidèle au rythme installé par Baudelaire. Mais lorsqu’il s’agit d’exprimer la fascination pour la femme désirée (« Mais de toi je n’implore, ange, que des prières… » ), sa voix se fait tout à coup plus légère et plus vive, plus chaude, plus intense. Façon peut-être de souligner que devant Vénus (titre de son album précédent), il est impossible de résister…

« Ange plein de bonheur, de joie et de lumières! »

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