Dominik Moll – « La nuit du 12 »

La nuit du 12

Je n’avais pas encore vu « La nuit du 12 », de Dominik Moll.

Si vous n’avez pas vu ce très beau film, césar du meilleur film et de la meilleure réalisation en 2023, il s’agit d’un polar à la mise en scène sobre et tranchante et aux dialogues hyperréalistes mais superbement écrits, articulé autour d’une réflexion sur les féminicides et d’un constat tranchant: « Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes » .

Un meurtre effroyable et gratuit, des jeunes hommes désinvoltes, irresponsables, lâches, cyniques et parfois bestiaux, des jeunes femmes fatiguées de vivre dans la peur, dans l’hypervigilance, dans le contrôle et dans le soupçon permanent que ce qui leur arrive est quand même un petit peu de leur faute, une séparation conjugale douloureuse, des policiers rongés par les affaires qu’ils n’ont pas réussi à élucider et angoissés que cela recommence tant leur enquête débouche sur une succession de fausses-pistes, une juge débordée mais qui essaye quand même de secouer le cocotier, un service public fragilisé par les coupes budgétaires et qui repose de plus en plus sur la bonne volonté de fonctionnaires désabusés et épuisés, des décors urbains, autoroutiers ou pavillonnaires assez glauques et le plus souvent surplombés par un couvercle de brume, et pour finir un terrible constat d’échec…

De prime abord tout cela est assez déprimant. Mais le film a aussi quelque chose de fascinant, pour différentes raisons.

D’abord parce que comme le dit bien Mathilde Blottière dans Télérama, il ne s’agit pas d’un banal thriller qui se déploie vers un dénouement digne d’une série policière, avec au bout du suspense la révélation de l’identité de l’assassin. Ici au contraire, on sait dès le début que les enquêteurs finiront dans une impasse.

Surtout, ces enquêteurs comprennent au fil des interrogatoires et des vérifications que n’importe lequel des amants de passage de Clara aurait pu la tuer, si bien que le film s’articule autour de « la recherche, sombre et tourmentée, du mobile du crime. Pourquoi? Pourquoi tuer, qui plus est d’une façon aussi atroce, une jeune fille heureuse de vivre, de séduire, d’aimer? La question tourne en boucle dans le cerveau de Yohan comme lui, chaque soir, tourne en rond sur la piste du vélodrome. »

Dans « Harry, un ami qui vous veut du bien », un précédent film qui m’avait beaucoup marqué, Dominik Moll avait pris le prétexte d’une histoire improbable pour se demander jusqu’où le cerveau humain peut aller dans la folie pour, soi-disant, le bien des autres. Dans « La nuit du 12 » , il fait au contraire le choix de décrire une enquête banale et le quotidien d’une banale équipe de la PJ formée de types banals, mais le but est au fond un peu le même: explorer le mystère de l’âme humaine.

« La nuit du 12 » est aussi un film profondément et subtilement féministe, non seulement parce qu’il dépeint les violences dont sont victimes les femmes, mais aussi parce qu’il permet de comprendre que c’est simplement parce que ce sont des femmes qu’elles les subissent (« Elle s’est fait tuer parce que c’était une fille. Voilà, c’est tout. C’était une fille » )., et aussi parce que ce sont les personnages féminins qui font avancer la compréhension de l’affaire et qui ébranlent les certitudes tranquilles des enquêteurs masculins (et la nôtre devant l’écran), avec des mots simples mais forts. C’est comme si les femmes mettaient soudain les hommes face à leurs responsabilités, frontalement, et ils en sortent manifestement ébranlés.

Je disais que ce film a quelque chose d’assez déprimant, mais curieusement il a avivé en moi l’envie d’autre chose: de changer de décor, de tendre la main aux gens qui tournent en rond dans leur vie, de nourrir des relations qui ne clochent pas, et de retrouver de l’enthousiasme malgré l’adversité – comme ce jeune inspecteur cabossé, taciturne, tourmenté et solitaire qui décide finalement de suivre le conseil de son vieux collègue et de sortir du vélodrome où il tournait comme dans un bocal pour « faire de la route » .

Dans la dernière scène, on le voit grimper les derniers lacets d’un col, en se mettant en danseuse et en appuyant de plus en plus fort sur les pédales, jusqu’à ce qu’un sourire triomphant lui vienne aux lèvres. Peut-être que plus tard, en bas dans la vallée, il retrouvera une femme et qu’ils passeront ensemble un moment de bonheur tranquille, un moment qui ne clochera pas. Peut-être que cette histoire l’a changé. Peut-être que finalement la vie a été plus forte et qu’elle a trouvé un chemin pour le ranimer. Peut-être. Il est permis de l’espérer, et là tout de suite, j’ai envie de faire le nécessaire pour que cela m’arrive aussi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *