Remo Giazotto – « Adagio d’Albinoni »

Il y a un sacré malentendu autour du fameux « concerto d’Albinoni ».

C’est l’une des œuvres les plus célèbres et les plus populaires de la musique classique, et c’est même la seule pour laquelle est connu Tomaso Albinoni, un obscur compositeur du XVIIIème siècle qui, autrement, serait resté totalement perdu dans les oubliettes de l’histoire (un peu comme Desireless sans « Voyage voyage » , si je peux me permettre cette comparaison quelque peu osée).

Pour illustrer la notoriété de cette œuvre, et aussi le fait qu’elle soit presque systématiquement associée à une profonde tristesse, on peut citer une réplique du film « Les Bronzés » dans laquelle l’inénarrable Jean-Claude Dusse raconte une tentative de suicide: « J’ai mis l’adagio d’Albinoni, j’ai avalé deux tubes de laxatifs et puis hop! j’ai perdu 16 kilos et ma moquette. »

Bref, cet adagio a fait entrer Tomaso Albinoni dans l’histoire de la musique, c’est entendu.

Sauf que cette œuvre n’est pas de lui, mais d’un musicologue et compositeur italien du XXème siècle, Remo Giazotto! Celui-ci était spécialiste de la musique baroque et notamment de l’oeuvre d’Albinoni. En 1958, il a composé un adagio néo-baroque sur la base de quelques fragments d’une sonate en trio écrite (on n’en est même pas tout à fait sûr) par Albinoni. Il n’en restait pas grand-chose (une ligne de basse descendante et deux amorces de mélodie), et Giazotto en a fait une sorte de pastiche qui est très vite devenu l’un des tubes de la musique classique, avec ses phrases longues, lentes et douloureuses jouées par un orchestre de cordes parfois accompagné à l’orgue.

Est-ce vraiment de la musique classique? Bien que des chefs d’orchestre réputés, tels qu’Herbert Karajan, en aient donné des versions, beaucoup de musicologues le contestent, car pour eux cet adagio est un peu le prototype de l’oeuvre sirupeuse et facile que les béotiens prennent pour de la « grande musique » alors qu’elle n’en est pas. Il faut dire qu’il a fait l’objet de nombreuses réorchestrations et interprétations dans des styles musicaux divers et variés (jazz, rock, pop, mais aussi variété, et même flamenco ou techno), et il a été souvent utilisé pour le cinéma (« Le procès » , « Rollerball » , « Manchester by the sea » …), mais aussi pour des séries télévisées. Ce n’est pas très culture légitime, tout ça… Alors beaucoup de fins amateurs de musique classique se piquent de mépriser cet adagio, ne serait-ce que pour le plaisir so snob que l’on peut prendre à se distinguer de la masse.

Personnellement, je suis sensible à la beauté simple de son thème principal.

Mais si je suis toujours touché en l’écoutant, c’est aussi parce qu’il me rappelle un souvenir très touchant de mon grand-père maternel, que j’aimais beaucoup. Mon pépé Roger n’écoutait jamais de musique. Mais un jour je l’ai vu, assis sur une chaise, penché vers le radio-cassettes Grundig que mes parents venaient de lui offrir, les coudes sur ses genoux et les mains jointes, attentif et silencieux, le regard dans le vague. Il écoutait l’adagio d’Albinoni, et il l’écoutait religieusement, comme on dit. Pour lui c’était bel et bien de la « grande musique » , de celles qui transportent et ouvrent vers un ailleurs qu’on aurait du mal à découvrir et à fréquenter autrement.

Alors rien que pour le plaisir que mon pépé à pris à écouter cette musique, et pour le plaisir doux-amer que je prends à repenser à lui, j’aime écouter cette œuvre mineure, mais très belle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *