Mon coup de foudre musical de l’année 2023, sans le moindre doute.
Beaucoup des quinquas qui écoutaient de la musique indé dans les années 90 ont alors découvert avec Slowdive un groupe emblématique du mouvement shoegazing. Mais dès cette époque, le groupe originaire de Reading en Angleterre se caractérisait déjà par une musique plus mélancolique que celle de My bloody Valentine, de Ride ou de Lush, qui étaient les autres têtes de gondole du shoegaze. Le son de Slowdive est alors fortement influencé par les Cocteau Twins, pour les effets de guitare et plus encore pour les voix vaporeuses.
Entre 1991 et 1995, Slowdive a sorti trois albums, dont le troisième était sensiblement plus dépouillé, explorant davantage le sillon de la dreampop, à savoir une musique très intime, qui cherche à déclencher une impression d’immersion ou d’enveloppement dans une atmosphère rêveuse, grisante et douce-amère. Une musique propice à l’introspection et au vague à l’âme, dans laquelle on a envie de se réfugier comme dans un plaid un soir d’hiver alors que dehors tombent les flocons.
À la suite de ce troisième disque, le groupe n’est pas resigné par son label Creation. On le croit alors perdu corps et biens, mais il n’est qu’entré en hibernation et il se reforme en 2014 pour une série de concerts, avant de sortir sur la lancée un quatrième album, en 2017.
Après une nouvelle parenthèse, Slowdive est réapparu au printemps 2023 pour un cinquième album magnifique, « Everything is alive » . Huit chansons seulement, mais ce sont huit coups de maître, avec des instrumentations volatiles et gracieuses, des paroles plus que jamais pleines de mélancolie (il faut dire que c’est un disque marqué par la perte, la mère de la chanteuse et guitariste Rachel Goswell et le père du batteur Simon Scott étant tous les deux décédés en 2020), et les voix angéliques de Rachel Goswell et de Neil Halstead, qui glissent sur les nuages et semblent enlacées l’une avec l’autre.
« Kisses » est le single par lequel l’album a été annoncé, et c’est une chanson que je trouve absolument irrésistible (l’adjectif « catchy » pourrait avoir été inventé pour elle).
Dès la première écoute, sur l’excellent podcast de mon collègue et ami Rémi (« Happy Monday » ) j’ai immédiatement été ferré et envoûté grâce au duo de guitares, l’une cristalline et aérienne, et l’autre réverbérée et légèrement assourdie. Le son est merveilleusement brumeux, ouaté et soyeux, comme sur les meilleurs titres de Beach House. Ces magnifiques arrangements semblent avoir été inventés pour alléger le coeur des endeuillés et pour les invités à lever les yeux vers la lumière – j’adore notamment la manière dont la guitare reprend soudain le devant de la scène à 1’30, après une suspension tremblante et respectueuse d’une quinzaine de secondes.
Les paroles sont elles aussi planantes, à leur manière: elles évoquent le chagrin, la difficulté des efforts nécessaires pour s’en extraire (« Maybe there’s a car there / driving away from here / taking all the ghosts, the hurt » ), l’envie de rêver à des lendemains plus joyeux (« I know you dream of snowfields / Floating high above the trees » ), l’envie que tout redémarre (« Well, everything starts anew » )…
Le clip de « Kisses » surfe également sur cette imagerie éthérée. Comme l’écrit joliment Simon Da Silva dans les Inrockuptibles, on pourrait le résumer par la formule suivante: « Perdu.e mais jamais seul.e » . Un couple de jeunes ados androgynes dérive en moto dans la nuit napolitaine, où il fait quelques rencontres plus ou moins inattendues. Leurs regards sont perdus dans le vague, ils semblent désabusés, mais ils n’oublient pas de se soutenir mutuellement. « En quelques minutes, la vidéo comme la bande-son réussissent à saisir la quintessence du sentiment adolescent, cet état si particulier où gravite une mélancolie intemporelle. »
« Kisses » ne dure que quatre minutes, et ce n’est pas assez, alors à chaque fois que j’écoute ce bijou de dreampop céleste, empreint d’une douceur infinie, je le relance et je relance encore, en me disant à chaque fois que cette chanson coule de façon incroyablement fluide, délicate, harmonieuse, entraînante, enivrante, et au final totalement addictive.
La seconde vie de Slowdive est bénie des dieux. « Everything is alive » ? Non, tout n’est pas vivant, il ne faut pas exagérer. Mais la musique de Slowdive l’est à l’évidence, et plus que jamais peut-être.
« Tell me, «You’re the best thing»
I tell you, «That’s what you need» »