James Sant – « Courage, Anxiété et Désespoir regardant la bataille »

Dans ce tableau de 1850, le peintre britannique James Sant réinvente le thème des trois grâces en les imaginant spectatrices d’une bataille dont nous ne savons rien, mais dont nous devinons qu’elle est terrible et angoissante.

Chacune de ces trois grâces (Courage, Anxiété et Désespoir) est ici l’allégorie d’un des sentiments majeurs que l’on peut éprouver au moment d’affronter ce que nous percevons comme un grand danger: le désespoir (qui nous pousse à abandonner et à fuir), l’angoisse (qui nous tétanise et nous place en état de sidération), et le courage, qui nous donne la force de combattre pour défendre les valeurs et les personnes auxquelles nous tenons le plus, parfois même carrément pour sauver notre peau.

À la droite du tableau, Désespoir est assise, endormie peut-être, en tous cas incapable de regarder en face la bataille. Sa main posée sur un rocher lui permet de maintenir un semblant de stabilité, mais elle est à deux doigts de s’effondrer.

Cachée dans l’ombre, Anxiété ose à peine jeter un œil vers les combats, mais on la sent prête à se retrancher derrière le rocher et à se recroqueviller à la moindre menace. Elle saisit de sa main le creux de son cou, comme si elle avait besoin de toucher sa poitrine pour étouffer un cri de terreur, ou comme si l’angoisse était si forte et oppressante qu’elle n’arrivait plus à respirer.

À gauche, Courage a au contraire une attitude totalement déterminée. Penchée en avant, elle observe attentivement et intensément la bataille. Dans sa main, elle tient fermement un couteau avec laquelle lequel elle s’apprête à se défendre. Autour de son cou, elle porte un collier de coquilles Saint-Jacques, qui dans le christianisme sont souvent associées au salut, car autrefois elles étaient utilisées pour les eaux de baptême.

Comme l’a judicieusement remarqué un commentateur (Eric Bess), « il est significatif que nous ne puissions pas voir la bataille. Il se peut que la bataille en elle-même n’ait pas d’importance; ce qui compte, c’est ce que cela suscite en nous. » En laissant la bataille hors champ, James Sant invite chacun et chacune d’entre nous à réfléchir à ces choses qui nous causent de l’anxiété et du désespoir, et qui donc exigent de nous un grand courage. Il peut s’agir d’un combat politique (défendre une cause, se dresser contre des oppresseurs…), mais ce peut aussi être une bataille personnelle, par exemple la lutte pour atteindre un objectif ardemment désiré, ou pour se libérer d’une addiction, ou pour quitter un conjoint violent et manipulateur…

Dans ce tableau, Désespoir accepte déjà la défaite. La bataille lui paraît bien trop écrasante et anxiogène, elle est incapable de supporter l’idée même de se battre, donc elle ferme les yeux et elle s’enfonce dans la résignation comme dans des sables mouvants qui vont l’engloutir. Elle n’a même pas la force d’imaginer la liberté dont elle pourrait jouir en cas de victoire.

Pour Courage, au contraire, la liberté est la valeur suprême, elle est ce pour quoi elle se bat, ce pour quoi elle surmonte sa peur. Ce que je trouve le plus frappant et le plus émouvant dans son attitude, c’est qu’elle cache Anxiété des combattants et elle maintient Désespoir à distance en étendant son bras gauche. Courage est un peu comme la partie adulte de notre personnalité qui, face à une situation dangereuse, prend sur elle toute l’angoisse et se place en avant pour protéger la partie vulnérable de nous-mêmes. Le langage corporel de Courage indique à Anxiété et à Désespoir « Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout, tout va bien se passer ».

Oui, tout va bien se passer.

[James Sant, « Courage, Anxiété et Désespoir regardant la bataille » (1850) / Collection particulière]

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