J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de dire à quel point j’aime le deuxième album de Lomepal, découvert grâce à ma fille Aurore qui en est une très grande fan.
[Ou plutôt qui « était » une très grande fan, car depuis les accusations de viol dont il fait l’objet elle ne l’écoute plus du tout, elle a même renoncé à aller le voir à un concert dont elle avait déjà acheté une place. Pour ma part, même si l’affaire a été classée en janvier faute d’éléments matériels, je suis aussi très gêné, car les accusations dont il fait l’objet ont l’air sérieuses. Aussi je n’écoute plus vraiment Lomepal (« séparer l’homme de l’artiste », j’ai vraiment du mal). Mais cette chronique est écrite depuis longtemps (aujourd’hui je l’écrirais différemment), et elle est pour moi, comme très souvent, le prétexte à parler d’autre chose que de l’artiste… alors la voici]
Après un premier album dont le son était encore très rap (même si Lomepal dit qu’il est venu à ce genre musical un peu par hasard, parce qu’il était un dingue de skate), il s’est engagé avec « Jeannine » sur la voie d’une pop plus ouvragée et orchestrée, dans laquelle on ne retrouve plus guère, du rap, que le parlé chanté, ainsi que des brouettes (sic) de métaphores sexuelles très crues.
J’adore ce disque, dont j’ai partagé trois superbes titres dans mon année en musique: « Le vrai moi » (un bilan de vie introspectif et désespéré), « Dave Grohl » (un aveu poignant de solitude et de manque affectif), et « Évidemment » (une des chansons qui me parle le plus, notamment pour son refrain aussi apaisé que douloureux).
Quelques mois après la sortie et le succès critique et public de « Jeannine », Lomepal en a sorti une réédition enrichie de quatre titres en live, d’une très belle maquette de « Plus de larmes », et de quelques excellents inédits.
Ces morceaux (plus ou moins) nouveaux figurent dans un disque à part intitulé « Amina ». Comme pour la version initiale, il s’agit d’un hommage ému rendu par Lomepal à sa grand-mère, une femme étrange et même carrément schizophrène, qui s’appelait Jeannine avant de changer de prénom suite à une initiation quelque peu mystérieuse. Cette nouvelle identité lui avait paraît-il permis de renaître de façon plus heureuse, et en tous cas cela a très fortement marqué l’enfant fragile et cabossé qu’était Lomepal.
Car avant de changer lui aussi de nom quand il s’est engagé dans le rap, le petit Antoine Valentinelli a vécu une enfance dramatique, marqué par la mésentente de ses parents et par l’alcoolisme de sa mère, dont il a parlé de façon assez saisissante dans « Sur le sol ». Et à l’en croire, s’il n’a pas totalement basculé dans le nihilisme et l’envie de tout envoyer valdinguer, c’est en grande partie parce qu’en dépit ou peut-être grâce à sa dinguerie (« Beau la folie », c’est le titre d’une des chansons de l’album), cette grand-mère lui a permis, envers et contre tout, de rester relié à la vie. La psychothérapeute Alice Miller, que j’ai beaucoup lue, décrit dans ses derniers livres le rôle essentiel que peuvent jouer les « témoins secourables » dans la vie des enfants victimes de maltraitance ou de graves négligences affectives: manifestement, c’est le rôle que cette grand-mère a joué pour le petit Antoine.
Sur l’ensemble de ce double album, Lomepal se met beaucoup à nu en abordant des thèmes très intimes, comme son enfance, sa famille, ses amis, et par dessus tout sa difficulté à se situer face aux filles.
« Montfermeil » tranche un peu avec ces thématiques, car Lomepal y mène une analyse aussi fine que brute de décoffrage de la célébrité et du succès, de leur séduction (« Quand c’est nouveau, c’est meilleur« ), de ce qu’il lui en a coûté pour les obtenir (« Pour réussir faut des bons points / J’en ai les phalanges qui saignent« ), des avantages indéniables que ça lui apporte (« Vivre pauvrement, c’était gênant« ), mais aussi du fait que ça ne l’a en rien délesté de ses difficultés intimes, par exemple de ses addictions au sexe ou aux substances plus ou moins illicites (« Une fois libéré des anciennes / j’suis allé m’acheter de nouvelles chaînes« ).
Si cette chanson me plaît, c’est pour son rythme endiablé, pour le contraste auditif entre la rugosité des couplets et la douceur du refrain, et pour le contenu de ce refrain, drôle mais puissant: un hymne à la débrouillardise (« Cousin, tu peux tout faire toi-même / J’ai bien vu une Punto dev’nir décapotable en plein mois d’août à Montfermeil / La meuleuse peut faire des merveilles« ), et une description de la façon désinvolte et insouciante avec laquelle Lomepal envisage l’avenir. Moi qui ai tant de mal à ne pas prévoir, à lâcher prise et à me dire « Advienne que pourra », j’envie beaucoup cet état d’esprit…
« Quatre grammes dans le réservoir,
Dieu seul sait si ça nous mènera quelque part »