Enola Gay, c’est le surnom du bombardier Boeing B-29 Superfortress qui, le 6 août 1944, a largué la première bombe atomique de l’histoire sur la ville japonaise de Hiroshima.

Il y a deux jours, l’agence de presse américaine AP nous a appris que suite au décret de Donald Trump supprimant toute référence à la diversité et l’inclusion dans les données de l’État fédéral américain, les textes et les photographies qui mentionnent Enola Gay ont été purement et simplement effacées (ou « cancellées », comme aiment bien pleurnicher les dénonciateurs du « wokisme ») de toutes les archives présentes dans les bases de données et sur les sites Internet et de l’armée américaine (y compris les réseaux sociaux).
Cela semble délirant, et ça l’est (comme à peu près tout ce que promeut et réaliser cette administration de tarés, il faut dire).
C’est d’ailleurs d’autant plus délirant qu’en l’occurrence, le surnom de ce bombardier ne fait pas le moins du monde allusion à une orientation sexuelle: c’est juste que le pilote de l’avion avait choisi de rendre hommage à sa mère, une certaine Enola Gay Tibbets, qui vivait paisiblement dans la petite ville de Quincy, dans l’Illinois. Rien à voir avec la choucroute, donc. Cette histoire grotesque illustre donc dans toute sa splendeur la connerie de l’homophobie.
Comme je suis un peu facétieux à mes heures perdues, quand j’ai lu cet article, j’ai tout de suite pensé que dans ce contexte aussi pitoyable qu’effrayant, ce serait bien de pondre une petite chronique à propos de cette chanson d’Orchestral Manœuvre in the Dark (OMD pour les intimes), qui évoque justement l’histoire de ce bombardier et de l’apocalypse qu’il a déclenché en larguant sa bombe atomique.
Les deux fondateurs d’OMD, Andy McCluskey et Paul Humphrey, se sont défendus d’avoir, avec cette chanson, voulu critiquer la guerre en général ou l’action de l’armée américaine en particulier: ils ont prétendu ne l’avoir écrite et composée que parce qu’ils étaient tous les deux passionnés d’aviation, et en particulier des avions de la seconde guerre mondiale.
Moi je veux bien, mais enfin les paroles sont quand même assez explicites pour dire que ce qu’ont fait ce jour-là les aviateurs d’Enola n’est pas joli-joli: « Is mother proud of little boy today?«
Pour la (très) petite histoire, lorsque la chanson est sortie en 1980, elle a été interprétée par certain·es pères ou mères la pudeur comme une allusion à l’homosexualité, voire carrément comme un discret coming out des musiciens du groupe. À cause de ce soupçon, elle a même été retirée d’un programme télévisuel pour enfants de la BBC! Comme quoi la bêtise n’a pas de frontière ni d’époque…
Bon, il faut quand même parler un peu de musique, dans une chronique musicale ce n’est pas totalement inutile 😉
Il n’y aura pas forcément grand chose à dire, d’ailleurs: « Enola Gay » est une chanson extrêmement connue, dont tout le monde a entendu la ligne sinueuse et lancinante au synthé qui ouvre le morceau et qui l’emmène jusqu’au bout. À l’époque, ce recours des synthétiseurs était encore très novateur, car jusque là ils n’avaient été utilisés que par des groupes avant-gardistes et expérimentaux, tels que Kraftwerk en Allemagne. OMD a contribué à populariser cet usage de l’électronique et à lancer ce qu’on appellera la synthpop, avec par exemple les premiers disques de Depeche Mode, Talk Talk, Eurythmics, Pet shop boys ou Erasure. C’est un genre que d’habitude je n’apprécie pas trop, car je le trouve trop simple, trop binaire, avec ces pauvres mélodies jouées sur le clavier avec un seul doigt. Ce qui me dérange surtout dans ce style musical, c’est la présence exclusive des synthés qui ne permettent pas les possibilités de modulation et la subtilité offertes par le piano, les guitares, la batterie, les instruments à cordes ou à vent…
Cela dit je dois reconnaître que sur « Enola gay », la synthpop ça frétille bien et ça s’écoute avec plaisir (pas vrai Elric), et ça se danse même avec enthousiasme. À tel point que même sans la lamentable polémique par laquelle j’ai commencé cette chronique, j’avais prévu de partager un jour ou l’autre cette chanson.
Je met aussi ci-dessous la version de Nouvelle vague, ce groupe français fondé en 2003 par Marc Collin et Olivier Libaux, et qui s’était donné pour objectif de composer des reprises de morceaux post-punk en version très ralentie et mélancolique, dans une inspiration bossa nova. C’est audacieux, sans doute trop diront beaucoup. Mais je trouve cette reprise d' »Enola gay » plus subtile, sensuelle et troublante que la version originale. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à jeter une oreille et à me dire ce que vous en pensez en commentaire!
Et la reprise par Nouvelle vague: