Lloyd Cole and the Commotions – « Perfect skin »

« Perfect skin » >> Perfect song.

C’est en octobre 1984 que Lloyd Cole and the Commotions, un groupe composé de jeunes étudiants de l’Université de Glasgow, sort son premier album, « Rattlesnakes » (le serpent à sonnettes, va comprendre Charles). J’ai découvert ce disque quelques années plus tard, durant ma première année d’étudiant, et je l’ai tout de suite adoré et « saigné » , comme dit ma fille Aurore (c’est-à-dire que je l’ai écouté tant de fois avec mon walkman Sony que j’ai comme usé la cassette audio sur laquelle je l’avais enregistré).

« Rattlesnakes » est un patchwork de sonorités très diverses, oscillant entre la pop, le folk et le rock, voire la country music sur certains titres, mais toujours rafraîchissantes, avec des mélodies très travaillées, des arpèges de guitares légers et évidents, des arrangements subtils, et un morceau lyrique flamboyant, le renversant et incandescent « Forest fire » .

Le plus souvent les textes parlent d’amour, et plus précisément de « toutes les choses que les gens font quand ils sont amoureux« , comme l’a avoué Lloyd Cole dans une interview : « People get in all sorts of weird scenarios and I quite like the idea of that. I write about that more than anything. Sometimes it is comic, sometimes tragic, sometimes funny and tragic at the same time. »

Tout au long de ce premier disque, les paroles comme la musique sont méticuleusement ouvragés. Dans une interview, Lloyd Cole a souhaité qu’on le traite en artiste parce que, dit-il, « je mets autant de soin qu’un romancier à retravailler la moindre ligne afin qu’elle sonne exactement comme elle le doit » – sans doute aussi parce qu’il aimait parsemer ses chansons de références intelligentes (mais pas austères ni poseuses) à des artistes, des philosophes ou des écrivain·es (Greta Garbo, Simone de Beauvoir, Truman Capote…). Lloyd Cole a affirmé qu’il ne faut pas « avoir honte d’être cultivé » et que quand il a commencé la musique, il avait comme ambition de « mener une lutte solitaire contre la médiocrité » : dans le contexte actuel où de plus en plus de gens se font carrément une gloire de mépriser la culture et la science, c’est le genre de formules qui prennent encore plus de sens.

Musicalement aussi c’est de la belle ouvrage, une vraie bouffée d’air frais et de délicatesse dans une époque où la variété internationale dégoulinait de synthés criards et stridents. « Rattlesnakes » est comme un meuble fabriqué par un ébéniste consciencieux et humble et qui serait posé au milieu d’un océan d’étagères Ikea superficielles en aggloméré clinquant.

Enfin l’un des charmes de cet album, et pas le moindre, c’est la personnalité de Lloyd Cole lui-même. En 1984 il avait 23 ans, il avait les joues rondes et un visage encore un peu poupon, avec des mèches légèrement bouclées, mais il décochait des regards bravaches et affichait en concert des poses à la Elvis, avec un mélange assez irrésistible de distinction, de nonchalance et d’aplomb. Playboy taciturne mais féru de littérature, Lloyd Cole était en quelque sorte l’incarnation des contrastes de la musique rock, comme l’a très justement écrit Alain Wais dans Le Monde : « Ce visage, c’est le rock, James Dean par exemple dans la Fureur de vivre, le teint juvénile et la moue boudeuse, le sourire angélique et le regard prêt à tout, la présence imposante et la réserve taciturne. C’est la dualité de l’homme-enfant, une Lolita au masculin, a-t-on envie de dire. » Ce jeune homme avait décidément tout pour plaire.

Parmi les admirateurs de « Rattlesnakes » , beaucoup se demandent comment il se fait qu’en dépit de tous ces atouts, ce disque où l’intelligence et la sensualité se marient avec élégance ne soit pas devenu un classique de la pop. J’avoue que c’est une question que je me suis posée aussi en le réécoutant il y a quelques jours et en retombant sous le charme de son côté délicieusement vintage.

Première chanson de l’album, « Perfect skin » est la quintessence de cette pop bohème et romantique.

Les couplets sont lancinants et véloces, mais les secondes qui précèdent les refrains (sur « When she smiles my way » ) imposent soudain une pause, comme un temps de suspension nécessaire pour prendre conscience et pour verbaliser l’effet que ça nous fait d’être amoureux, le cœur qui bat la chamade, les joues qui s’enflamment ou les papillons dans le ventre.

Musicalement, le morceau est dominé par un assemblage subtil entre des accords de guitare acoustique et les boucles d’une guitare électrique délicate, et la voix de crooner romantique de Lloyd Cole, ironique et sensuelle, qui me fait étrangement penser à celle de Lou Reed, happe et emporte.

Quarante ans après sa sortie, cette chanson est encore et toujours parfaite, un bijou pop intemporel et excitant qui provoque une commotion non pas cérébrale, mais émotionnelle, délicieusement émotionnelle.

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