Barry Manilow – « Could it be magic »

De son vrai nom Barry Alan Pincus, Barry Manilow est un compositeur, pianiste et chanteur new-yorkais d’origine polonaise né en 1943. Il n’est pas très connu en France, et pourtant il est l’un des plus gros vendeurs de disques de l’histoire de la musique populaire (85 millions d’albums dans le monde entier), il a reçu un Grammy et un Emmy, et dans le « Hot adult contemporary tracks » , qui liste depuis 1961 les chansons populaires de style pop ou variétés les plus diffusées sur les stations de radio américaines (sans le rock ‘n’ roll), il est classé en cinquième position, juste derrière quelques menues stars telles qu’Elton John, Barbra Streisand, Neil Diamond et Elvis Presley.

Barry Manilow a sorti un tube dansant intitulé « Copacabana », mais l’essentiel de la notoriété et surtout du crédit dont il dispose parmi la critique musicale tient au morceau que je partage ce soir, dont il est l’arrangeur (il a été écrit et composé par Adrienne Anderson). Sortie en 1973 sur son premier disque, « Could it be magic » est une longue chanson (6’48), pas très ajustée aux standards de la radio, mais qui deviendra néanmoins un standard, plus encore après sa reprise par Donna Summer deux ans plus tard, dans une version très raccourcie dont le rythme disco invite évidemment au déhanchement, mais qui a dissipé la mélancolie profonde de la chanson de Barry Manilow – ce pourquoi je préfère très largement la version originale. Je ne mentionne que pour la blague la reprise du boys band Take That, assez consternante je dois dire, et qui passe totalement sous silence ce qui est pourtant la principale particularité de « Could it be magic » .

Quelle particularité ? Le fait que ce morceau s’ouvre pendant 52 secondes sur une mélodie au piano qui est la reprise d’une œuvre de Frédéric Chopin (lequel était polonais, tiens tiens…) : le prélude en do mineur Opus 28 numéro 20. La suite de la chanson invente d’autres mélodies tout aussi romantiques et langoureuses que celles de Chopin, qu’elle entremêle avec des nappes de cordes et des effets de reverb qui étaient à la mode dans la musique populaire de l’époque. L’ensemble, je trouve, a très bien vieilli. Ce que j’aime le plus dans « Could it be magic » , dans la version de Barry Manilow, c’est la construction lente et méthodique, le long pont instrumental qui commence à 2’12 (on croirait qu’il a été composé pour illustrer une scène d’errance dans un film intimiste), et surtout la montée en puissance qui s’enclenche à partir de 3’45, et qui culmine juste avant que la voix de Barry Manilow disparaisse dans un fade away brutal et que le piano ne vienne clore la chanson avec solennité, comme on dépose un cercueil dans un mausolée – Chopin avait ouvert « Could it be magic » , et on y revient pour conclure.

Ce morceau, qui illustre le meilleur de ce que peut donner une musique de variétés ambitieuse, a très vite tapé dans l’oreille d’un des chanteurs français les populaires des années 70, je veux parler d’Alain Chamfort, alors produit par une petite maison de disques co-dirigée par Claude François. Celui-ci va donc l’adapter, en demandant à son parolier d’en transformer le thème pour en faire non pas une chanson d’amour enfiévrée (comme dans la version de Barry Manilow), mais une réflexion sur les étapes successives de la vie d’un homme (« le temps qui court / qui nous rend sérieux » ), et plus encore, me semble-t-il, sur la nostalgie du temps de l’insouciance (les voitures en plastiques sont devenues réelles, et ça ne semble pas vraiment combler cet homme…), et sur le sentiment de solitude qui s’installe à mesure que l’on devient plus grave et que les ans nous plombent (« Parce que le temps qui court / change les plaisirs / et que le manque d’amour nous fait vieillir » ).

Mais là aussi, je veux dire pour la thématique aussi, je préfère la version originale de Barry Manilow. Celui-ci apparaît sur la pochette avec un brushing lisse et un sourire timide qui lui donne l’image d’un éphèbe éthéré, mais les paroles que lui a écrites Adrienne Anderson sont au contraire enfiévrées. « Could it be magic » parle en effet d’un homme qui est profondément amoureux de sa compagne (« Sweet Melissa, angel of my lifetime » ), qui est intimement convaincu qu’elle est la réponse à toutes les questions qu’il se pose, qui voit en elle une source inépuisable de merveilles (« Let me know the wonder of all of you » ), et qui souhaite ardemment bâtir son monde autour d’elle. Alors cet homme s’interroge : notre amour a-t-il quelque chose de magique, et s’il ne l’est pas encore, pourrait-il le devenir ? Et il implore cette femme aimée : rejoins moi, viens te réfugier dans mes bras, et nous verrons alors si magie il y a.

« Could this be the magic at last? »

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