Je n’ai jamais été un grand inconditionnel de Michael Jackson, si bien que de lui je ne connais vraiment que l’album « Thriller », dont j’aime beaucoup de chansons, à commencer par « Billie Jean » et sa fabuleuse ligne de basse. Ce qu’il a publié par la suite, à partir de « Bad », me paraît très désagréable et répétitif, et je n’avais jamais remonté à la source de son premier disque, « Off the wall » – sans même parler des Jackson five, dont je connais vaguement l’histoire et une chanson, « I want you back ».
Quelle fut donc ma surprise lorsqu’il y a quelques années j’ai découvert que le générique du loto, très souvent utilisé pour signifier musicalement la notion de jackpot, n’était autre qu’une chanson de Michael Jackson, celle-là même que je partage ce soir.
À cette époque, en 1979, le jeune Michael avait vingt ans. Il était alors connu pour être le chanteur vedette des Jackson five, ce groupe drivé d’une main de fer par le père des cinq garçons, une sombre brute qui manipulait et exploitait ses enfants pour assouvir son propre désir de fric et de gloire.
Ce statut lui avait permis d’être embauché l’année précédente pour jouer le rôle de l’épouvantail dans le film « The Wiz », qui adaptait le roman de Frank Baum « Le magicien d’oz », mais dans une version où l’intégralité des artistes appartenaient à la communauté afro-américaine, et dont la vedette était Diana Ross. C’est durant le tournage de ce film que Michael Jackson a fait la rencontre qui allait changer sa vie, avec le musicien et producteur Quincy Jones, qui en était le directeur artistique. Un jour où le futur king of pop lui demandait s’il connaissait un producteur capable de l’aider dans ses projets solo, Quincy Jones, enthousiasmé par la voix et le charisme du jeune garçon, lui proposa ses services, et de cette collaboration naquit un album solo, sorti l’année suivante sous le titre « Off the Wall ».
« Don’t stop ’til you get enough » est l’un des tubes majeurs de ce disque. Michael Jackson dira plus tard qu’il était très fier de cette chanson, car elle est la première qu’il ait écrite et composée entièrement, avec juste l’aide de son frère Randy pour transcrire la mélodie qui lui était venue en tête (car lui-même ne maîtrisait pas l’écriture de la musique). Sa mère était d’un avis différent, car quand elle l’entendit pour la première fois elle l’interpréta comme une allusion à l’acte sexuel. D’après Michael ce n’était pas son intention, mais de fait les paroles semblent quand même sans équivoque (« So get closer (closer now) / to my body now / Just love me » ; « Touch me and I feel on fire / ain’t nothin’ like a love desire (ooh) » ; « Fever, temperatures risin’ now » ). Chantées par Michael Jackson avec une voix de fausset surexcitée, ces paroles, et ce titre de chanson (« Vas-y encore tant que tu n’es pas rassasié » ), peuvent difficilement être interprétées autrement que comme un « Aime moi jusqu’au bout de la nuit »…
Quand on regarde le clip, on se dit aussi que la façon de danser de ce jeune homme au look aujourd’hui improbable (un nœud papillon démesuré, des chaussettes blanches qui tranchent avec le noir du costume et des chaussures vernies…), cette manière de se déhancher et de secouer brusquement le bassin, ces couinements suraigus qui deviendront l’une de ses signatures, évoquent une version de l’amour qui n’est pas spécialement platonique.
Mais ce qui fait la force de ce morceau, c’est évidemment sa musique étourdissante. Ça commence pourtant par une introduction au texte hésitant (« You know, I was / I was wondering, you know / If you could keep on » ), susurrée par Michael Jackson d’une voix enfantine, le regard vers le bas, comme s’il était lui-même intimidé ou même effrayé par l’intensité de son désir (« And it make me feel like, ah / It make me feel like, ooh » ), comme si celui-ci lui paraissait trop dévorant et même trop explosif pour être exprimé ouvertement.
Mais une fois passée cette introduction particulièrement troublante, « Don’t stop ’til you get enough » jaillit sous la forme d’un mélange de disco et de funk, avec une section de cordes qui joue tout de suite cette courte et célébrissime phrase musicale inventée par Quincy Jones, une section de cuivres clinquante (deux trompettes, un saxophone ténor, un trombone et un saxophone baryton), deux guitares, des basses, une batterie, des percussions, et bien entendu des claviers. Cet orchestre riche et chatoyant joue tambour battant (120 battements par minute!), et les arrangements de Quincy Jones font de « Don’t stop ’til you get enough » un morceau qui grouille de vie, « un chaos organisé absolument extraordinaire » comme l’a très justement dit Michka Assayas dans une émission qu’il a consacrée à Quincy Jones.
En un album, et notamment grâce à cette chanson, Michael Jackson a révolutionné l’histoire de la musique populaire : exit le disco et le funk, place à une pop qui, de décennie en décennie, s’apparentera de plus en plus à une synthèse de différents genres musicaux. Et bien que n’étant pas un grand fan du personnage, force est de reconnaître que Michael Jackson trônait bel et bien en majesté au sommet de cette pop devenue universelle.