Depuis que je ne poste plus sur Fessebouque, je ne publie plus beaucoup de commentaires d’actualité. La loi Duplomb m’en a souvent donné envie, d’abord à cause de la dangerosité de ce texte, qui permet à l’agro-business de produire encore plus de denrées alimentaires merdiques et nocives, en détruisant encore plus les écosystèmes et en émettant toujours plus de substances polluantes et de gaz à effet de serre, donc en réduisant encore la sécurité alimentaire à l’avenir. Je ne vais pas y revenir car j’en ai déjà beaucoup parlé : je renvoie aux rapports de l’association Les greniers d’abondance, qui démontrent que l’agriculture conventionnelle et industrielle a un impact écologiste et social désastreux (je dis souvent que c’est un modèle agricole qui sème la mort), et qu’il existe des modèles agricoles alternatifs qui permettraient de nourrir la France de façon réellement durable. Concernant la loi Duplomb proprement dite, elle a été étrillée par d’innombrables articles et prises de positions d’associations environnementales et/ou de scientifiques éminents.
Ce qui m’a particulièrement scandalisé dans les débats sur la loi Duplomb, c’est aussi le silence total de l’État face aux menaces et aux exactions des tenants de l’agro-business contre les écologistes (comme contre l’OFB ces dernières années), ainsi que le mépris de la science qui transpire chez les dirigeants de la FNSEA ou de la Coordination rurale et chez Duplomb, Wauquiez, Genevard et consorts. Ça me désespère de voir le débat public de plus en plus monopolisé par ces mini-Trump de la droite et de l’extrême-droite, qui mentent de façon effrontée et qui méprisent à la fois la vérité et les oppositions. Cette loi est dégueulasse, et celles et ceux qui, à la tête de l’État, de LR, du RN ou de la FNSEA, la défendent bec et ongles, sont vraiment nés avant la honte.
Bien entendu, j’ai signé la pétition qui réclame la tenue d’un nouveau débat à l’Assemblée Nationale, et qui a recueilli à ce jour plus de 2 millions de signatures.
Et puis avant-hier, j’ai lu la tribune de plusieurs dizaines de scientifiques éminents, de médecins, de responsables associatifs, etc., qui appellent le Conseil Constitutionnel à « faire prévaloir la science et la santé publique » , et donc à censurer la loi Duplomb au nom du principe de précaution. La liste des signataires est éloquente : le président du conseil scientifique du CNRS (Olivier Coutard), le président du directoire de la Fondation pour la recherche médicale (Maxime Molina), le président du conseil scientifique de l’Institut national du cancer (Gérard Socié), le président de la Ligue contre le Cancer (Philippe Bergerot), le président de la Société des Neurosciences (Stéphane Oliet), la présidente de la Société française de pédiatrie (Agnès Linglart). Ajoutons que le lendemain, l’Ordre des médecins s’est lui aussi positionné contre la loi Duplomb en indiquant que « les alertes ne peuvent être ignorées » concernant l’acétamipride, potentiellement dangereux pour la santé.
> Face à une telle liste, continuer à prétendre, comme Laurent Duplomb et tous les vendu·es aux lobbies de l’agro-industrie, que les opposants ne font qu’agiter et manipuler des peurs, est aussi grotesque que dégueulasse.
La tribune de ces scientifiques et de ces institutions et associations est si claire et percutante que je n’ai rien d’autre à faire que de la recopier ci-dessous, en mettant juste quelques passages en gras.
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Loi Duplomb : le Conseil Constitutionnel doit faire prévaloir la science et la santé publique
La loi Duplomb est une loi qui ne passe pas. Qui ne passe pas pour les Françaises et Français victimes des maladies induites par les pesticides, dont la colère est légitime. Qui ne passe pas pour les scientifiques qui, constatant les effets dévastateurs des pesticides sur le vivant, ont alerté les parlementaires des conséquences prévisibles de cette loi. Qui ne passe pas pour de nombreux agriculteur·ices, qui savent bien que la destruction des insectes pollinisateurs affectera la majorité d’entre eux, et qu’ils seront, ainsi que leurs familles et leurs enfants, les premières victimes des pesticides. Qui ne passe pas pour presque deux millions de citoyennes et citoyens français qui ont signé la pétition demandant son abrogation. Et qui ne passe pas non plus pour nous, sociétés savantes médicales, sociétés savantes scientifiques, associations de patients, qui ne pouvons nous résoudre à accepter une loi dangereuse pour la santé de nos concitoyens.
Comment comprendre le vote d’une majorité de parlementaires en faveur de cette loi ? Il pourrait être tentant d’évoquer des stratégies politiques visant à s’assurer le soutien de puissants relais d’opinion comme la FNSEA, mais il faudrait admettre un cynisme politique inconcevable quand la santé publique est en jeu. Une autre explication semble plus plausible, celle de l’ignorance. Parmi les cinquante-trois personnalités auditionnées par la commission sénatoriale préparant le texte, on constate comme attendu des représentants de syndicats agricoles, du lobby des pesticides, de certaines agences de l’Etat (ANSES) ou établissements publiques à caractère scientifique ou technologique (INRAE), d’associations de défense de l’environnement. Mais on ne recense aucun médecin, aucun toxicologue, aucun épidémiologiste. Aucun représentant de l’INSERM, aucun représentant du CNRS. Aucun représentant du ministère de la Santé, aucun représentant du ministère du Travail (les pesticides sont des facteurs reconnus de maladies professionnelles), aucun représentant de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ou de la Mutuelle Sociale Agricole. Et quand les députés ont auditionné quelques experts scientifiques et proposé des amendements, leurs propositions ont été évacuées sans débat par un détournement inédit du dispositif de la motion de rejet préalable. Cette loi, qui facilite l’usage de certains pesticides a donc été élaborée en ignorant ce que les professionnels de la santé et scientifiques connaissent des effets de ces produits sur la santé humaine. Cette ignorance est à l’œuvre quand le Ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, interrogé par le Sénateur Tissot, demande que nous « laissions les études arriver » .
Alors il faut informer encore une fois les décideurs politiques, et contrer les discours orientés que certains industriels mettent en avant pour servir leurs intérêts économiques. Il faut redire qu’en 2021, l’INSERM a analysé plus de 5.000 articles scientifiques et retenu une présomption forte de lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue de certains cancers, de troubles neurodégénératifs, pulmonaires, endocriniens. Il faut redire que l’acétamipride, dont la loi Duplomb autorise la ré-introduction, a été trouvé dans le liquide céphalo-rachidien qui baigne le cerveau des enfants. Que plus cette substance est présente dans les urines des femmes enceintes, moins le quotient intellectuel de leurs enfants à naître est élevé. Qu’on trouve de l’acétamipride dans le sperme et qu’il pourrait affecter la mobilité des spermatozoïdes. Que l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments elle-même a jugé que les effets de l’acétamipride sur le système endocrinien et sur le développement neurologique n’avaient pas été suffisamment évalués.
Après les parlementaires, c’est désormais au tour du Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ce texte. Si ses membres doivent se prononcer en droit, nos règles constitutionnelles peuvent et doivent être interprétées à la lumière des données de la science. C’est pour cela que nous avons adressé au Conseil constitutionnel une contribution extérieure : dans le pays des Lumières, les politiques publiques doivent se fonder sur des faits établis par la connaissance médicale et scientifique. Quand allons-nous considérer que la santé publique ou la préservation de la biodiversité ne constituent pas des contraintes, mais sont les conditions mêmes de notre communauté politique ? Le Conseil Constitutionnel doit constater l’incompatibilité de la loi Duplomb avec le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’Environnement. Il doit protéger les générations futures d’un texte qui compromet sans l’ombre d’un doute raisonnable, la santé des jeunes, des enfants et de ceux à naître. Il doit répondre à l’exigence démocratique exprimée fortement par les citoyens français. Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, notre santé et celle de nos enfants sont entre vos mains.