J’ai déjà partagé un morceau issu du premier album de Jay-Jay Johanson, l’exubérant et faussement prétentieux « So tell the girls that I’m back in town« .
Cette chanson là, tout aussi nombriliste, décrit ce qui s’est passé quelque temps avant ce retour sur le ring, dans les moments qui ont suivi la rupture, lorsque la maison sonne vide (« The girl I love is gone / and solitary fills my home » ), lorsqu’on n’arrive pas à envisager l’avenir autrement que comme une longue traversée du désert en solitaire (« The girl I love is gone / and I will never find a new » ), lorsque l’angoisse d’abandon se fait perçante et qu’on souffre de se retrouver seul face à soi-même et à sa vacuité (« The emptiness inside grows stronger every night / and where are you to ease my pain » ), lorsqu’on s’affole en imaginant la perspective de finir tel un veuf inconsolable… Tout cela est chanté par Jay-Jay d’une voix impressionnante de lassitude et de chagrin, même si celui-ci est camouflé sous un apparent détachement.
Au-delà du thème et de l’interprétation vocale, ce qui me touche beaucoup dans cette chanson, c’est la façon dont la musique représente une sorte de percée lumineuse dans cette épaisse couverture nuageuse. Comme sur le reste de l’album, les arrangements sont marqués par une grande fraîcheur, une légèreté qui contrastent avec la détresse des sentiments exprimés. Des notes aériennes posées par un piano numérique bon marché éclatent ça et là comme des bulles à la surface d’un étang, la flûte laisse échapper une douce mélopée, la batterie accompagne les musiciens avec une rythmique sautillante bien qu’à la tonalité un peu urbaine, et la voix fragilissime de Jay-Jay est délicate au possible.
À l’époque de la sortie de cet album (1996), le trip-hop avait conquis ses lettres de noblesse grâce à Portishead, Massive Attack ou Archive. Jay-Jay Johanson en propose ici une version jazzy, au groove tout aussi prononcé, mais avec en plus une touche de délicieuse mélancolie. Je peux très bien la chantonner avec en même temps les larmes aux yeux et le corps qui se trémousse, comme si cette chanson illustrait parfaitement la fameuse formule de Victor Hugo, « la mélancolie est le bonheur d’être triste » .
« The girl I love is gone » est une chanson qui, sous ses airs de ne pas y toucher, sous ses allures de bluette pour adolescent(e)s en détresse, est en réalité d’une beauté redoutable, ravissante à tous les sens possibles de ce mot.
« The girl I love is gone
and things will never be the same
The emptiness inside grows stronger every night
and where are you to ease my pain
The girl I love is gone
For good, for good, for good »