Il y a beaucoup de fans de Pink Floyd pour qui « The wall », sorti en 1979, est un chef d’oeuvre, mais je dois confesser que je ne partage pas trop leur enthousiasme. J’ai réécouté dernièrement le double album en entier, et je dois dire que je me suis un tantinet ennuyé, j’ai même trouvé ça assez boursouflé à pas mal d’endroits. Même le tubissime « Another brick in the wall » ne m’excite pas spécialement, sur le plan musical en tous cas.
Mais « The wall » contient quand même quelques perles, à commencer par ce morceau titanesque et grandiose. « Comfortably numb » est l’une des rares chansons composées conjointement par Roger Waters et David Gilmour, et c’est aussi l’une de celles au sujet desquelles la rivalité entre les deux hommes a été intense, chacun des deux étant persuadé de détenir la bonne formule et ne voulant pas céder un pouce de terrain. Malgré de très longues et âpres discussions, les deux musiciens n’ont pas réussi à s’accorder sur la version à choisir, et ils ont donc convenu d’enregistrer une version finale qui mixe deux prises différentes : l’ouverture de la chanson et les couplets correspondent à la volonté de Roger Waters, qui chante ces parties, tandis que les refrains, chantés par David Gilmour, et les solos de guitare final, sont conformes à la volonté du guitariste. « Comfortably numb » est donc divisée en deux sections, la noire pour les couplets et la blanche pour les refrains (selon la description qu’en a faite Gilmour).
Waters a raconté que le texte de la chanson provient d’une double inspiration : des souvenirs de sensations éprouvées alors qu’il était enfant et malade, et une expérience vécue alors qu’il était atteint d’une hépatite encore non diagnostiquée, un soir de concert à Philadelphie : avant d’entrer en scène, un médecin lui a administré un sédatif pour calmer sa douleur, et Waters raconte que malgré cela il a vécu un calvaire (« J’ai alors vécu les deux heures les plus longues de mon existence à essayer de faire un concert alors que je pouvais à peine lever un bras. » )
Mais pour interpréter les paroles de « Comfortably numb », il faut aussi tenir compte du fait qu’elle figure sur un album qui est la bande originale d’un film qui raconte l’histoire d’un type camé, en profonde dépression et totalement épuisé (« I hear you’re feeling down » ), qui semble comme absent à lui-même, ou carrément vidé de lui-même (« Is there anybody in there? » , c’est par ces mots inquiétants que la chanson est annoncée). La chanson s’adresse à cet homme par la voix d’un médecin qui détient le remède à cette détresse, qui sait comment procurer une relaxation plus ou moins hypnotique via les antalgiques, les anti-dépresseurs ou les drogues (ce n’est pas très clair). Si « Comfortably numb » était parue sur un album récent, je parie que beaucoup y auraient vu une critique de façon dont la société moderne, notamment les médias d’entertainment et les réseaux sociaux, produisent chez leurs publics un état d’engourdissement confortable afin de mieux anesthésier leur potentiel de critique et de révolte. C’est peut-être aussi ce que le groupe avait à l’esprit en composant cette chanson…
Comme souvent chez Pink Floyd, pour moi en tous cas, le texte est moins important que la musique. Très honnêtement, je trouve celle-ci quelque peu grandiloquente et même un poil pompeuse (oui Xtof, je maintiens)… Mais j’adore « Comfortably numb », son côté planant, son alternance entre temps morts et remontées en puissance, entre envols et glissades. Et bien sûr, ses deux solos de guitare. Le second, celui qui démarre à 4’30, annoncé par une basse slappée sourde et menaçante, est carrément dantesque, et il est souvent cité comme étant l’un des plus grands solos de guitare électrique de l’histoire du rock.
Dans une interview récente, l’ancien leader d’Oasis Neil Gallagher a encensé ce morceau: « Il donne l’impression de pouvoir durer éternellement, la construction mélodique est parfaite, il n’en fait jamais trop… Les solos de guitare de David Gilmour ont la même force que des mots. Ils parlent d’eux-mêmes. C’est tellement beau, j’aurais aimé être aussi doué [en tant que guitariste]. » Je suis totalement d’accord avec Neil Gallagher: ce solo de David Gilmour clôture en apothéose ce monument qu’est « Comfortably numb ».
Je partage ton admiration pour ce morceau que j’adore-issime. Mais, à l’inverse de toi, j’y ajoute la quasi-totalité de « The Wall », que j’aime -quasi- tout autant. J’ignore si mon amour pour cet album est dû à son intrinsèque qualité ou à mes souvenirs de très jeune adolescent (j’avais 11 ans) qui, tu le sais mieux que quiconque, peuvent nous façonner musicalement, comme la fameuse madeleine de l’autre.
Et enfin, tu me donnes ici une superbe occasion de te re-re-fourguer une autre idole dans ce duo que je n’hésite pas, pour le coup, à mettre au panthéon du talent musical et scénique! :-):
https://www.youtube.com/watch?v=3vKbSIO_8W0&list=RD3vKbSIO_8W0&start_radio=1
Hé hé, je m’attendais à un commentaire comme ça 😉 Et je te comprends tout à fait! Recevoir un album pareil à 11 ans, ça marque à jamais. Le groupe de mes 11 ans, c’est The Police, et je suis certain à 100% que si j’avais découvert leurs albums à 18 ou 25 ans, aujourd’hui je ne les adorerais pas autant. Il y a peut-être un peu de ça pour toi avec « The Wall »?
Je suis en train d’écouter la version live avec Bowie, et ça me donne la même impression: un peu trop gros pour être honnête, et malgré tout fantastiquement jouissif! En tous cas entre Bowie et PInk Floyd, je devine quels albums vont faire chauffer la platine quand tu reviendras!
Je ne ferais jamais chauffer la platine avec PF au même rythme que Police, rassure-toi! ;-). D’une part, parce que, hormis « The Wall », PF m’emmerde globalement (je viens de réécouter l’album « wish you were here » à l’occasion des 50 ans de l’album, et je l’ai trouvé chiantesque; pour le coup, comme toi; grandiloquent, pompeux et j’oserais même dire (pardon, pardon) sans aucune inspiration!
Par contre, à 11 ans m’a percuté « message in a bottle », le tout premier passage vers la dévotion absolue et éternelle que je porte à ce groupe! On se refera un beau p’tit medley en live très prochainement, et assurément en octobre!
A propos de The Police, je ne sais pas si tu connais cette chaîne YouTube, mais il y a un paquet de vidéos consacrées à Stewart Copeland, dont celle-ci: https://www.youtube.com/watch?v=lQGdh0kg6gA Pour des amoureux des policemen comme nous, cette chaîne est une mine d’or!