The Pretenders est un groupe anglo-américain formé en 1978 par de la chanteuse Chrissie Hynde, qui est originaire d’Akron dans l’Ohio, mais qui vivait alors en Europe depuis cinq ans. Elle avait atterri des États-Unis à Londres, puis elle avait passé quelques mois à Paris, assez de temps pour participer à quelques groupes éphémère tels que Les Frenchies. Mais très attirée par le mouvement punk-ruck qui était en train d’exploser dans la capitale anglaise, Chrissie Hynde y est très vite retournée, et c’est là, en vivant dans des squats de banlieue en compagnie de producteurs et de musiciens (dont le bassiste des Sex pistols John Simon Ritchie, mieux connu sous son surnom de Sid Vicious), que sa carrière musicale a vraiment démarré. Sa voix chaleureuse et sensuelle lui a d’abord permis d’être engagée comme choriste et de participer à de multiples groupes naissants, qui capoteront les uns après les autres. Mais comme elle était ambitieuse, elle a passé ces années à rencontrer des musiciens, à les auditionner, à organiser des sessions ou à jouer en concert avec eux, parfois à tenter de les débaucher, avec toujours la même idée en tête : créer son propre groupe. C’est chose faite en décembre 1978 avec une première partie donnée à Londres sous le nom de Pretenders, puis avec la sortie un mois plus tard d’un single intitulé « Stop Your Sobbing ».
Une fois lancé sur les rails, le groupe a publié coup sur coup deux albums sans titre (simplement appelés Pretenders I puis Pretenders II), qui ont été de retentissants succès mondiaux. Il existe encore aujourd’hui (un douzième album studio est sorti en 2023), mais il a connu des hauts et des bas, et surtout deux drames terribles : à seulement 10 mois de distance, en 1982-1983, il a été endeuillé par la mort de son guitariste James Honeyman-Scott, dont le cœur s’est arrêté dans son sommeil, sans doute épuisé par des années de prise de cocaïne, puis par celle de son premier bassiste Pete Farndon, qui avait été viré un an plus tôt précisément à cause de son addiction à la drogue, et que sa femme retrouva noyé dans sa baignoire après une overdose. Il paraît que ces dernières années The Pretenders a sorti des albums très réussis, mais je dois dire que je ne les ai pas du tout écoutés.
Le nom du groupe est très ambigu : a pretender, ce peut être le prétendant au sens amoureux du terme (le soupirant), mais ce peut être aussi quelqu’un qui prétend être, qui essaye de se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Peut-être cette ambiguïté est-elle le signe d’une certaine méfiance de Chrissie Hynde vis-à-vis des relations amoureuses ? Il faut dire que de ce point de vue elle n’a pas été très gâtée par la vie : après son arrivée en Europe, sa vie sentimentale a été plutôt agitée… Elle est notamment sortie avec Ray Davies, le chanteur des Kinks, avec qui elle a eu une fille en 1983, et c’est de cette relation qu’est née la célébrissime et émouvante chanson que je partage ce soir.
« I go to sleep » a été écrite quinze ans plutôt par Ray Davies. La petite histoire raconte que celui-ci, empêché d’assister à l’accouchement de sa première fille Louisa (à l’époque ce n’était pas permis aux papas), a composé et écrit une petite berceuse aussi simple que tendre. Quelques jours plus tard, une demo a été enregistrée, mais Ray Davis ne l’a pas retravaillée (elle ne sera rendue publique qu’en 1988), et il l’a tout de suite confiée aux bons soins d’une chanteuse qu’il appréciait beaucoup, Peggy Lee. Dans les années qui suivront, « I go to sleep » sera reprise par quelques artistes le groupe anglais The Applejacks et Cher, mais sans jamais vraiment décoller.

Au début des années 80, alors qu’il est en couple avec Chrissie Hynde, Ray Davies lui propose d’enregistrer sa propre version de cette chanson. C’est alors, dans cette version soft-rock, que « I go to sleep » va révéler tout son potentiel : portée par la voix splendide de la chanteuse américaine, magnifiée par la douce sonorité d’un cor français (« It’s those little embellishments that capture my attention » ), elle devient si belle, si évidente, si touchante, qu’on la croirait écrite par et pour Chrissie.
Mais ici il ne s’agit plus du tout d’une berceuse : réinventée par les Pretenders, « I go to sleep » devient la déclaration d’amour fiévreuse d’une femme qui se languit de l’homme qu’elle aime et qui, pour combler le trou béant creusé dans son cœur par son absence, imagine qu’il est là, à ses côtés, la tête posée sur l’oreiller. Le texte n’a rien d’original ni de littéraire, et pourtant il suffit, dans sa naïveté, pour dire combien les sentiments sont capables de nous enchanter sur la nature et la force du lien amoureux : imaginer que l’autre est là (« I go to sleep, sleep, / and imagine that you’re there with me » ), rêver que l’autre est là (« I dream you are there with me » ), cela peut suffire à sentir que l’autre est là (« I look around me / and feel you are ever so close » ), à intégrer son existence en soi-même et à se sentir en permanence accompagné par lui (« Though you are far away / I know you′ll always be near, to me » ).
Mais l’enchantement ne fonctionne que jusqu’à un certain point… Le troisième et dernier couplet, en tous cas, livre le versant sombre et affligé de l’absence, lorsqu’au sortir du sommeil elle apparaît trop cruelle, lorsque la présence et le contact charnel ne sont plus que des souvenirs exprimés au passé (« You were all, you and no one else / You were meant for me » ). Le pouvoir de l’imagination ne résiste pas indéfiniment à la rudesse de la réalité…
Il y en a pour qui la nuit est un espace apaisé et onirique dans lequel on se laisse glisser avec tranquillité, ou même avec délice. Pour d’autres, ou pour les mêmes dans les moments difficiles de la vie, elle est plutôt un monde obscur et angoissant dans lequel on appréhende de plonger parce qu’on sait que l’insomnie attend au tournant. Le message de « I go to sleep », c’est peut-être que la manière dont nous nous couchons dépend des films qui nous passent dans la tête au moment de se glisser sous la couette (des comédies romantiques, des mélodrames, des tragédies?), et plus encore de la présence ou de l’absence, à nos côtés, de la personne que l’on aime…
