Cocteau twins – « I wear your ring »

Originaire d‘une petite ville du sud de l’Écosse (Grangemouth), Cocteau Twins était dans les années 80-90 l’un des groupes phares du label 4AD. Formé initialement par deux potes issus de la classe ouvrière et amateurs de foot et de soirées alcoolisées, il a d’abord proposé une musique post-punk assez proche de Siouxie and the Banshees, avec des guitares ardentes, une basse sombre et des vocalises quelque peu possédées. Petit à petit il s’est calmé, et il a produit une musique nuageuse et onirique qu’on a fini par qualifier de heavenly voices ou de ethereal pop.

Ces formules tiennent largement à la voix vaporeuse et superbe de la soprano Elizabeth Fraser, et aux paroles souvent volontairement obscures, au point que certains ont dit qu’elles relèvent de la glossolalie (ie. le fait de parler ou de prier à haute voix dans une langue mystérieuse, ou en tous cas d’énoncer une succession de syllabes plus ou moins incompréhensibles – ce qui est typiquement le cas sur ce morceau). Les textes de Cocteau Twins illustrent tout à fait une amusante formule de David Byrne: « Lyrics are just a trick to get people to listen to music for longer than they normally would. »

Mais le côté éthéré que Cocteau Twins a de plus en plus cultivé tient aussi et surtout à sa musique, légère, mélancolique, brumeuse, aérienne, impressionniste voire abstraite – une musique qui surfe sur une vague langoureuse et crépusculaire, et qui va beaucoup inspirer ce qui deviendra la dreampop, par exemple celle de Slowdive, de Mazzy Star ou de Beach House – ou plus récemment celle de Cigarettes after sex.

Le morceau que je partage ce soir est issu du sixième album de Cocteau Twins (« Heaven or Las Vegas »), sorti en 1990. Le groupe n’a jamais vendu beaucoup de disques, et il a encore moins rempli les stades, mais ce disque a quand même reçu un succès commercial honnête, Il aurait sans doute mérité davantage, tant les peu nombreuses et courtes chansons qu’il contient sont pleines d’un charme délicat et candide, un peu énigmatique et insaisissable, mais qui s’immisce dans la mémoire de façon entêtante.

Sur cette très belle chanson à la construction méticuleuse, la voix céleste d’Elizabeth Fraser est portée par de longues nappes de claviers aux sonorités très diverses (l’un d’eux évoque même un accordéon), par une rythmique précise et souple, par des basses amples et ouatées. Elle se déploie sur plusieurs pistes à la fois, qui se chevauchent sans se concurrencer: au contraire elles ne cessent de relancer la dynamique de la chanson, comme dans un canon (un peu comme au cours d’une marée montante, chaque vague semble s’appuyer sur la précédente pour aller un peu plus haut, un peu plus loin). Et comme ces pistes explorent une diversité de tonalités et de timbres de voix, on peut parfois avoir l’impression qu’il y a plusieurs chanteuses en Elizabeth.

L’émotion troublante et romantique qui résulte de cette spirale ascendante voluptueuse s’estompe pour finir dans un joli fade away. Un commentateur a dit de la musique de ce disque qu’elle évoque « la main douce d’une jeune femme qui caresse ton dos et te murmure des poèmes féeriques. » Douce, caresse, féerique: trois mots qui, en effet, vont comme un gant de satin à « I wear your ring », comme à toutes les chansons de ce disque majeur et magique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *