Sur cet album un peu méconnu, Gérard Manset s’inspire plus encore que d’habitude de ses voyages, qui venaient de l’emmener vers de nouveaux horizons, en Amazonie. Il y parle de la mort (« Le chant du cygne »), de l’effort qu’il faut pour tenir la barre dans un monde incertain (« Capitaine courageux » )… Mais il aborde aussi la vie douce et intense que mènent « les indiens d’Amazonie » dans les « Tristes tropiques » , dans la chanson du même nom (clin d’oeil à Claude Lévi-Strauss), et dans la splendide « Territoire de l’Inini » qui conclut l’album.
C’est une chanson longue (presque huit minutes), qui se déploie de façon sinueuse et élégante. En guise d’introduction, un solo de flûte de pan nous plonge d’emblée dans l’univers mystérieux de la jungle. Les accords de guitare, la batterie soyeuse, la mélodie ondulante, le texte inspiré par la nature et par les petits événements du quotidien, nous donnent à entendre une vie simple et décente, en harmonie avec les éléments, à peine malmenée par les incursions des blancs qui déboulent des avions chargés de perles et de fusils. Le village que décrit Manset, celui où il a vécu un temps, avec ses « piroguiers aguerris » et son « chamane qui les guérit » , c’est un lieu accueillant et rassurant, « chaud comme un nid » . « C’est comme un bout / de paradis / qui tient debout » , malgré les coups de boutoir de la modernité.
Dans la deuxième moitié de la chanson, à partir de 3’56, la batterie devient de plus en plus présente, et la guitare de Mike Lester, teigneuse et presque stridente, évoque le fracas du monde qui met en péril ces peuples premiers, pourtant les seuls à vivre de façon à peu près durable sur cette Terre. La flûte de pan revient à la fin, virevoltant tel un colibri en panique – et il y a de quoi, en effet.
Ce territoire de l’Inini n’est pas à l’abri du tragique.
« Seins ronds comme des fruits,
nagent nus dans l’Inini.
Danse et magie
ont duré toute la nuit. »