Compositeur morave peu connu, longtemps considéré comme un spécialiste de folklore et de musique chorale (donc comme un auteur mineur), Leos Janáček a notamment composé au tout début du XXème siècle un cycle de treize pièces pour piano qu’il a intitulé « Sur un sentier recouvert ». Les titres sentent le mystère et la mélancolie, pour ne pas dire plus: « Elles bavardaient en hirondelles » , « Une feuille emportée » , « La vierge de Frydek » , « La parole manque! » , « Anxiété indicible » , « En pleurs » …
Il faut dire que le thème commun à toutes ces pièces, c’est le chagrin que Leos Janáček porte depuis la mort tragique, à l’âge de vingt et un ans, du seul de ses enfants ayant survécu, sa fille Olga. Le « sentier recouvert » (ou « herbeux » ) qu’il parcourt en musique, c’est sa peine et sa solitude, qu’il revisite et qu’il essaye tant bien que mal de sublimer. Ces treize pièces sont autant de voyages intérieurs. Le piano est pour Janáček un confident qui l’aide à exprimer les blessures infligées par la vie, avec recueillement et nostalgie, et souvent avec une grande et indépassable tristesse.
Musicalement, l’atmosphère rappelle le romantisme de Schumann et Chopin, mais la structure de ces pièces est beaucoup plus complexe et imprévisible, comme chez Debussy par exemple. Les mélodies sont très variées, alternant entre des passages lents et apaisés et d’autres très vifs et (en apparence) déstructurés.
Si « La chevêche ne s’est pas envolée » est ma pièce préférée, c’est sans doute parce qu’on y retrouve ces deux dimensions entremêlées. Certains passages sont brusques, comme peuvent l’être les glapissements brefs de la chevêche, ici dépeinte comme une messagère de la mort. Ailleurs la mélodie se fait lugubre et solennelle. Mais d’autres moments sont doux et calmes, comme le repos éternel d’Olga. En tous cas c’est une pièce extraordinairement expressive, dans laquelle Janáček parvient, de façon incroyablement subtile, à exprimer le battement d’ailes de la chouette et celui d’un coeur qui s’affole.
Je connais et j’écoute souvent cette œuvre jouée par Mikhaïl Rudy, mais elle n’est pas disponible sur YouTube. C’est bien dommage car en comparaison, les rares versions que l’on peut y trouver sont fort pauvres et besogneuses… Alors voici l’enregistrement disponible sur Spotify (j’espère que vous pourrez y accéder, même sans abonnement).