The Doors – « Riders on the storm »

Que les fans des Doors me pardonnent, mais dernièrement j’ai réécouté tous leurs albums en une seule journée, et je dois dire que ça m’a sacrément gonflé. Essentiellement à cause du piano électrique, si caractéristique du son du groupe: comme il est présent à peu près partout, quand j’écoute pas mal de titres à la suite, j’atteins très vite l’overdose (surtout sur le double album live).

Échaudé par l’expérience, je suis à peu près sûr que je ne réécouterai plus ces disques en entier (la vie est trop courte).

Mais cela ne veut pas du tout dire que je n’écouterai plus les Doors, car il y a dans leur discographie des pépites magistrales, en particulier « Light my fire » , « The end » ou « Riders on the storm » .

Cette dernière chanson est de loin ma préférée des Doors. Sept minutes et neuf secondes d’ensorcellement musical. Le synthé du claviériste Ray Manzarek se fait ici plus feutré, et il évoque subtilement le clapotis de la pluie d’orage qui s’annonce. L’orchestration et la rythmique renouent avec les racines du blues, comme sur plusieurs autres titres de l’album. La mélodie chantée et celles jouées par les instruments rivalisent de subtilité (j’adore notamment la façon dont, à 0’33, le clavier descend prestement la gamme, comme une goutte de pluie glissant soudain le long d’une vitre). La voix de Jim Morrison est ici plus calme, plus souple, plus profonde, plus « confortable » , lestée qu’elle est par une forte consommation d’alcool et par les 3 paquets de clopes par jour qu’il avait pris l’habitude de griller.

Et puis il y a ce texte, mystérieux et envoûtant.

J’ai lu quelque part que « Riders on the storm » décrit « une apocalypse douce » , menée par « des cavaliers chevauchant des montures de soie » , mais qui n’en reste pas moins une apocalypse, et qui emportera tout sur son passage, implacablement, même ce à quoi nous tenons le plus. Il y a en effet des passages qui valident cette interprétation: « There’s a killer on the road / (…) If you give this man a ride, / sweet family will die / Killer on the road, yeah » . Avec ces mots, Jim Morrison évoque un épisode particulièrement traumatisant de sa vie: un accident de voiture au beau milieu du désert, dont il fut le témoin quand il n’avait que huit ans, et qui le marqua sans doute à jamais (« Des morts partout, c’était horrible » ).

Il faut dire aussi qu’au moment où l’album est enregistré, Jim Morrison est épuisé moralement par des mois de cavale (il a fui illégalement les USA pour échapper à un procès pour attentat à la pudeur), bouffi et méconnaissable par rapport au sex symbol svelte et glabre de ses débuts (il a pris plus de trente kilos et il arbore une barbe de bûcheron), rongé par des années d’alcool et de drogues diverses, plongé dans une dépression qui l’amène à consommer des quantités démentes de médicaments. Au bout du rouleau, découragé, il semble appeler ses frères et sœurs à attendre placidement l’orage qui gronde au loin et à accepter leur fin prochaine, comme si elle n’était rien d’autre qu’une délivrance. « Riders on the Storm » est une chanson hallucinée et spectrale sur la mort: nous écoutons un homme et un groupe qui nous font leurs adieux et qui nous invitent à nous préparer, nous aussi, au grand départ.

Cette interprétation de « Riders on the storm » comme un blues crépusculaire, enregistré par un groupe et un poète-chanteur exsangues (et qui ne devinent d’ailleurs même pas à quel point ils le sont), est bien sûr très convaincante, mais il me semble qu’elle est un peu trop marquée par le fait que nous connaissons la suite de l’histoire. Est-ce que les Doors savaient, pendant l’enregistrement de « L.A. Woman » , que ce serait la dernière chanson de leur dernier album, et le dernier morceau enregistré par Jim Morrison ? Aujourd’hui elle apparaît comme un splendide chant du cygne ou un testament musical, mais est-ce que c’est vraiment ce que le groupe avait pour projet de transmettre ? Et si Jim Morrison n’était pas mort tragiquement quelques mois plus tard (probablement d’une overdose), cette chanson serait-elle aussi mythique ?

Le fait est que trois mois plus tard seulement, Jim Morrison sera six pieds sous terre au cimetière du Père Lachaise, en digne membre du « club des 27″… Le vrai « This is the end » des Doors, du coup, c’est peut-être bien ce morceau…

Mais pour moi, « Riders on the storm » peut aussi sonner comme une invitation à s’engager dans l’aventure, à se déployer, à s’offrir aux événements et aux rencontres, quitte à ce que la vie ne soit pas toujours ce qu’on en espère, quitte à ce qu’en chemin on rencontre bien souvent un tonnerre fracassant et effrayant plutôt qu’une pluie fine et apaisante. En réécoutant plusieurs fois cette chanson, puis en écrivant ce texte, j’ai pensé à la merveilleuse formule de Sénèque disant que la vie consiste à apprendre à « danser sous la pluie » : il me semble que « Riders on the storm » met superbement en musique cet aphorisme. « C’est dans ce monde-là, tout frustrant qu’il soit, que nous avons été jetés et que nous avons un rôle à jouer, alors ce rôle, jouons le du mieux que nous pouvons. »

Peut-être que j’interprète ainsi ce titre parce que c’est le message que j’ai envie d’entendre. Peu importe.

En tous cas si je ne suis pas un grand admirateur des Doors, je suis totalement emballé par « Riders in the storm » .

« Riders on the storm

Riders on the storm

Into this house we’re born

Into this world we’re thrown

Like a dog without a bone

An actor on a loan

Riders on the storm »

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