Si j’étais une femme, cette chanson serait peut-être pour moi LA déclaration d’amour ultime à prononcer.
Et en tant qu’homme, en tous cas, ce serait pour moi LA déclaration d’amour à entendre.
C’est une chanson qui parle d’amour comme d’un bon plaid dans lequel on a envie de se lover les soirs d’hiver, en se sentant si entouré, si choyé, si en sécurité, si délicieusement serein et léger, qu’on n’a qu’une seule envie, s’abandonner.
Mais l’amour dont parle Barbara n’est pas celui du romantisme adolescent, et il est tout sauf platonique. « Pierre » est une chanson éminemment sexuelle, avec des expressions qui évoquent assez clairement le désir érotique de cette femme pour son amoureux (« qu’il rentre du bois » , « le bassin qui se remplit » , « terre mouillée » ). Dans un long monologue intérieur, Barbara décrit les impressions fugitives et excitantes qui l’envahissent à la simple pensée de « son » Pierre. Si elle s’ouvre aux sensations que lui offrent la maison, « la remise » , « les jardins alanguis » , « le clapotis du bassin qui se remplit » ou « l’allée » , toutes ces sensations sont ici les métaphores de son désir. Cette chanson est donc une rêverie bucolique et paisible, mais aussi charnelle, dans laquelle une femme amoureuse se laisse glisser avec délice.
Et puis il y a la façon dont Barbara chante ce texte sublime. J’ai déjà écrit dans cette playlist que j’ai du mal avec sa voix et sa diction, avec son maniérisme, son rythme irrégulier… Mais dans cette chanson il n’y a rien de tout cela. Barbara parle, elle murmure, elle chuchote et elle chante avec intensité, mais de façon sobre et claire, exactement comme on fredonne une berceuse à un petit enfant pour l’accompagner dans le sommeil.
Ce choix de la sobriété permet de mettre encore plus en valeur le désir que Barbara éprouve pour son homme, lorsqu’il affleure et se manifeste au détour d’un mot ou d’une syllabe… La façon de prononcer « Pierre » , à 1’10, puis de le murmurer encore dans un soupir, à 2’22, en plein milieu d’une série de « la la la » aériens et d’une infinie douceur… Wow. C’est irrésistible, et j’en tombe à la renverse à chaque fois – comme quoi c’est bel et bien une chanson orgasmique.
L’orchestration aussi est magnifiquement délicate, avec d’abord un piano si discret qu’on l’entend à peine, bientôt rejoint par le sax soprano sensuel de Michel Portal, qui donne l’impression d’être comme enlacé avec la voix de Barbara, notamment lorsqu’il s’élance souplement vers le haut à 2’03.
Mais ce que j’aime plus que tout dans cette chanson, ce sont les derniers vers sublimes, qui disent à la perfection la confiance paisible qu’une femme peut placer dans « son » homme: « Il va bientôt revenir, et je me sens déjà heureuse et transportée à l’idée de ce que je ressentirai quand il sera là » .
« Que c’est beau cette pénombre,
le ciel, le feu et l’ombre
qui se glisse jusqu’à moi
sans bruit…
Une odeur de foin coupé
monte de la terre mouillée,
une auto descend l’allée…
C’est lui…
La la la
La la la
La la la la la la la
La la la la la la la
Oh Pierre »