Quand j’étais au lycée, j’écoutais souvent les albums de Cabrel, que j’avais tous enregistrés sur K7. Cette chanson était l’une de mes préférées car elle décrivait ce qui était pour moi une sorte d’idéal amoureux, et cela occupait beaucoup l’esprit du garçon romantique que j’étais.
J’aime beaucoup, vraiment beaucoup, beaucoup, le mot « accompagner » .
On l’utilise en général pour évoquer un bref laps de temps avec un ami ou un enfant, avec qui on fait « un bout de chemin ensemble » , par exemple à l’occasion d’une promenade ou sur la route de l’école (« Je te raccompagne »).
Mais je trouve émouvant de l’utiliser pour la vie amoureuse au long cours. Alors le mot « accompagner » dit joliment que l’autre, le compagnon ou la compagne dont on partage la vie, est un individu à part, qui suit son propre chemin et dont, pour des raisons plus ou moins énigmatiques, la trajectoire de vie est parallèle à la nôtre.
Grâce à ce miracle, quand il arrive et surtout quand il dure et se renouvelle, on a à ses côtés une personne à qui prendre et donner la main, grâce à qui on peut s’encourager et de se soutenir mutuellement quand on rencontre des difficultés ou des chagrins, dont on peut se réjouir des bonheurs et à qui on peut partager et faire profiter des siens. Une personne qui, même quand elle n’est pas là, est présente quand même quelque part en nous (« Et même quand je suis loin le soir / elle pose ses mains sur mon visage« ) , et dont la simple évocation nous donne un sourire, de l’allégresse, du courage, de la paix, et pour toutes ces raisons, une certaine impatience joyeuse de la retrouver, et ensuite le désir « que jamais rien ne m’éloigne / de la fille qui m’accompagne » .
Quand j’étais adolescent, je voyais dans cette chanson une vision très romantique et enflammée de l’amour, ce qu’elle contient bien sûr (« Au fond de son jeu de miroirs / elle a emprisonné mon image » , « J’ai brûlé tous mes vieux souvenirs / depuis qu’elle a mon cœur en point de mire« ).
Mais ce que j’ai découvert au cours des années, c’est que la vision de l’amour qu’on y trouve dépeint plutôt ce que peut être (ce que pourrait être ?) une relation de couple dans la durée, bien après l’étincelle fulgurante de l’amour-passion. Si on n’y prend garde, vient un moment où le coeur de l’autre devient « un hôtel » dans lequel on se repose, vient un moment où on on ne fait plus assez l’effort de le choyer et de le séduire. C’est alors qu’il peut être précieux de se dire, régulièrement, quelque chose comme « J’ai bien de la chance de vivre au quotidien aux côtés de «la fille avec qui je voyage»…«
Si je devais résumer comment j’envisage le couple aujourd’hui, ça ressemblerait à peu près à ça: « J’ai fini par réussir à m’aimer plutôt bien, à m’entendre plutôt bien avec moi-même, mais il y a quand même plein de trucs qui sont plus sympa à faire à deux que seul, et j’aime tellement partager la vie de cette personne que je vais faire mon possible pour que ça dure longtemps, longtemps » .
C’est à peu près ce que dit cette chanson, avec plus de poésie, et c’est pourquoi elle me touche toujours autant que dans mon adolescence.
« Elle sait les îles auxquelles je pense
et l’autre moitié de mes délires
Elle sait déjà qu’entre elle et moi,
plus y’a d’espace et moins je respire »