En 1989 sort l’album « Matrice » , le quatorzième de Gérard Manset. Un album sombre, brut, aussi bien pour les textes (« D’une époque à vomir, / l’histoire dira ce qu’il faut retenir » ) que pour les sonorités, beaucoup plus rock et dures que dans ses albums précédents, notamment du fait de la guitare électrique hargneuse de Mike Lester.
C’est un album sur lequel figurent plusieurs diamants bruts.
« Avant l’exil » , sur le moment où l’on vient de quitter les siens et les lieux dans lesquels on a grandi (« Juste avant l’exil, / ça semblait facile / de tout quitter. / On était le loup sans son collier, / l’arbre sans son espalier » ) , mais où on se rend compte qu' »On se retrouve comme on est né, / à nouveau dans un monde damné, / sans rien ni personne pour nous aider » ).
« Matrice » , un morceau halluciné qui semble mettre en musique « De l’inconvénient d’être né » d’Emil Cioran (« Renvoyez-nous pour notre bien / On n’en veut pas plus on demande rien / que nager dans le grand liquide / comme un têtard aux yeux vides » ).
Et « Toutes choses » , l’un des chefs d’oeuvre de Manset, et plus largement l’une des plus belles chansons sur le temps qui passe. Tranchante, impitoyable, cette chanson rappelle que « toutes choses se défont » , et que ce à quoi nous tenons le plus ne résistera pas davantage que la poussière face à un torchon, que ça nous plaise ou non.
Je me souviens d’un texte sur le bouddhisme originel dans lequel il était écrit qu’accepter et renoncer, finalement, ce sont les deux faces d’une seule et même médaille. C’est aussi ce que dit cette chanson: « Après le pain blanc, le pain rassis » , et le mieux que nous avons à faire, c’est de nous en accommoder, de l’accepter, et peut-être même d’apprécier le changement, si on le peut.
« De toutes choses on voit le fond,
tandis que nous disparaissons,
comme essuyés par un torchon,
comme balayés d’un typhon
(…)
Et toutes choses se défont,
comme le plâtre des plafonds,
comme le vin du carafon
quand il devient couleur de cendre,
et qu’on voit le niveau descendre,
.et que la plaie reste sans fond,
et que personne ne répond,
que personne ne répond,
que toutes choses finiront…
Après le pain blanc, le pain rassis
Et toutes choses sont ainsi… »