J’ai rarement lu un résumé de la situation sur le front de l’écologie aussi clair, aussi complet et aussi déprimant que cet article collectif du Monde. En une dizaine de minutes de lecture, il fait le tour d’horizon de toutes les raisons pour lesquelles on est bien contraint de reconnaître que le mouvement écologiste est en train de perdre la guerre culturelle qu’il espérait gagner.
Cela fait des années que je pense que la cause est entendue, que de toutes façons, quoi qu’il arrive et quoi qu’on fasse, l’Humanité ira jusqu’au bout du délire productiviste et consumériste et rendra cette planète inhabitable. Je croyais au moins que plus la perspective d’un effondrement écologique serait crédible et plus on prendrait la mesure du désastre, plus on se battrait pour l’empêcher. Je n’en suis même plus sûr. C’est désespérant, absolument désespérant.
En route vers le foutur.
L’article commence par quelques extraits d’une note du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), destinée aux cabinets du président de la République et du premier ministre, et qui affirme notamment : « On observe un backlash écologique, avec une hausse des pressions antinormes environnementales, contre le pacte vert [européen], voire des objectifs de l’accord de Paris, y compris au sein même du gouvernement« . Les objectifs en matière de protection de la biodiversité, de lutte contre les pollutions chimiques des eaux et de zéro artificialisation nette sont « fortement remis en cause« .
Au niveau international, l’écologie est « marginalisée depuis l’irruption de la guerre en Ukraine ou à Gaza« , et elle se trouve « piétinée dans le nouveau chaos géopolitique créé par l’administration Trump« . Mais l’Europe n’est pas en reste: le pacte vert européen est remplacé par la « boussole pour la compétitivité » (selon les termes de la Commission européenne) – un « business plan censé permettre à l’Europe de rester dans la course avec les États-Unis et la Chine. Au menu, notamment, la fin de la directive CSRD qui obligeait les entreprises à une transparence sur leur impact environnemental et social. »
En France aussi, même si c’est avec moins d’ampleur, « les reculs se multiplient aussi depuis le début de l’année », avec des coups de boutoir répétés de la droite et de l’extrême droite contre l’OFB ou l’Ademe. « Coupes budgétaires dans des secteurs cruciaux comme le soutien aux voitures électriques, la rénovation énergétique des bâtiments avec MaPrimRenov’, le fonds vert des collectivités ; perte du portefeuille de l’énergie par le ministère de la transition écologique ; révision à la baisse des ambitions de développement du solaire et du soutien au secteur ; désintérêt du premier ministre… l’écologie est en berne. Les dossiers agricoles, en particulier, se sont transformés en champs de bataille.«
« Dans cette ruée contre les normes vertes, le gouvernement cède à certains lobbys et revient sur des acquis. Le 20 février, par peur de recours des professionnels de la plasturgie, il a mis en consultation un projet de décret réautorisant les assiettes et les couverts en plastique dans les cantines scolaires, à rebours de la loi EGalim de novembre 2018. Le 12 février, toujours au Sénat, le ministre des outre-mer, Manuel Valls, a été jusqu’à demander d’ouvrir le débat sur la loi Hulot de 2017 interdisant la recherche et l’exploitation de nouveaux hydrocarbures. »
Pite encore, l’écologie n’est pas seulement « effacée des feuilles de route« , mais elle est désormais « instrumentalisée. » Depuis la crise agricole de l’hiver 2023-2024, les gouvernements successifs tentent dce calmer la FNSA et la CR en dézinguant les normes écologiques, en surfant sur l’idée selon laquelle « l’écologie entrave les citoyens et les entrepreneurs. « Le gouvernement et certains partis politiques, de droite et d’extrême droite, ont choisi d’utiliser la transition écologique comme bouc émissaire alors que la colère agricole portait surtout sur des enjeux de revenus et de concurrence internationale jugée déloyale », regrette Anne Bringault, la directrice des programmes du Réseau Action Climat« .
On voit même des élus (et pas seulement d’extrême-droite ou de droite, la preuve) tenir des propos infâmes sans que personne dans leur camp ne les reprenne : « Le 20 juin 2024, lors des assises de la pêche et des produits de la mer à Lorient, le vice-président de la région Bretagne, Daniel Cueff, a ainsi qualifié certaines organisations non gouvernementales de « terroristes ».«
« Progressif depuis le retour de la guerre en Europe, puis brutal sous les coups de boutoir de Donald Trump, ce grand retournement des dirigeants et d’une partie de l’opinion vis-à-vis de la transition écologique arrive au pire moment« , celui où tous les voyants sont au rouge écarlate dans le domaine de l’écologie, et pas seulement pour le climat.
Comme le dit Yves Marignac, expert énergie au sein de l’association NégaWatt, « Nous sommes brutalement confrontés à un changement d’ère. Depuis des années, nous espérions pouvoir contribuer à aider les sociétés à aller vers un monde plus désirable. Aujourd’hui, nous devons entrer de façon urgente dans une résistance pour préserver les progrès déjà existants. »
