La « loi de Brandolini » (du nom d’un mathématicien) peut s’exprimer de la façon suivante : la quantité d’énergie, de temps et de connaissance nécessaire pour réfuter du bullshit est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer.
Autrement dit : il suffit de 2 minutes pour dire une ânerie, mais il faut parfois des heures pour expliquer en quoi c’est une ânerie.
C’est très facile de dire n’importe quelle énormité ou n’importe quel mensonge, et de le diffuser sur Internet.
– Si c’est dit de façon séduisante, avec de l’aplomb, du charisme, des formules un peu mystérieuses, et une bonne flopée de sous-entendus;
– Si cela flatte une tendance à se méfier instinctivement et systématiquement de toute autorité et de toute institution quelle qu’elle soit (le complotiste se reconnaît à ceci qu’il doute de tout, absolument de tout, SAUF de lui-même et de ce à quoi il croit);
– Si on cite à tour de bras des penseurs comme Orwell, qui ont à juste titre une réputation de rebelles (mais qui doivent se retourner dans leur tombe, les pauvres…);
– Si on donne la parole à des scientifiques qui sont totalement déconsidérés par leurs pairs et qui s’expriment en dehors de leur champ de compétence (pour le climat c’était Allègre, à l’heure actuelle on a l’embarras du choix);
– Si on met en avant des informateurs que chacun a tendance à juger crédibles, en dépit du fait que leur point de vue n’a strictement aucune valeur statistique (« ma sœur soignante / mon cousin policier… m’a raconté que… ») – quand il ne s’agit pas tout simplement de témoignages inventés;
– Si on mélange des informations tout à fait banales et justes avec des mensonges ou des erreurs, ce qui permet de donner faussement une impression de fiabilité à l’ensemble du discours, même à ce qui est le plus foireux;
>> Alors, avec un peu d’habileté, il y a une chance que le n’importe quoi devienne viral et qu’il vaille à son auteur une réputation flatteuse (« Bravo! En voilà un à qui on ne la fait pas, qui refuse de baisser la tête comme un mouton, qui a le courage de penser par lui-même! » ).
Comme s’il suffisait de prétendre l’inverse de « la version officielle » pour être ipso facto le Galilée des temps modernes.
Et au final on se retrouve avec des bataillons de gens qui partagent des croyances au mieux farfelues, au pire détestables et dangereuses.
Il n’empêche, quand on profère une approximation, une contrevérité ou un mensonge, quand bien même c’est partagé par des centaines de milliers d’internautes, ça reste une approximation, une contrevérité ou un mensonge.
Ce que dit aussi la loi de Brandolini, c’est que si une fake news est facile à créer et à répandre, en revanche cela prend énormément de temps et d’énergie de la débunker, de la critiquer, de la déconstruire, de montrer qu’elle s’appuie sur des chiffres complètement sortis de leur contexte, sur des constats sans la moindre signification, ou pire encore (ce qui est très souvent le cas ces temps ci) sur des documents falsifiés. Merci infiniment à celles et ceux qui se démènent pour faire ce travail salutaire.
Et qui plus est, celui ou celle qui prend sur son temps pour démentir une fake news se fait pourrir, se voit traité de mouton, de « débile profond », de « vendu », de « corrompu », de « salopard », de « sacré dégueulasse », de « connard », etc. [c’est du vécu]
Je vous l’avoue, tout cela m’effraie et me rend très triste, avec un sentiment de découragement, d’accablement.
En illustration de ce post, « La Nef des fous », de Hyéronimus Bosch. Nous y sommes.