Sorti en 1995, le premier album de Miossec est arrivé comme un OVNI. Enregistré avec des bouts de ficelles sur une simple cassette, diffusé dans les bars de Brest, puis envoyé à des maisons de disques comme on jette une bouteille à la mer, ce disque âpre, écorché vif, aux textes rageurs et crus, bourré de fougue et de larmes, a boxé de plein fouet des gens comme moi, jeunes adultes un peu paumés et hésitants devant l’entrée dans la vie adulte – la vie en théorie « sérieuse » .
« Sérieux » , au sens de rangé, casé, Miossec ne l’était pas du tout – lui c’était plutôt petits boulots, picole et errance. Sur ce disque il écrit, il compose et il chante comme si ça vie en dépendait (de fait à trente ans il était revenu vivre chez ses parents, et il ne possédait plus rien que ses instruments de musique). En cela je lui trouvais un côté sulfureux, à l’opposé de l’avenir bien tracé que je m’étais imaginé ou qu’on avait imaginé pour moi.
Avec le recul, je me dis que j’aurais peut-être mieux fait de m’en inspirer davantage…
Tout l’album est impressionnant et n’a pas pris la moindre ride. Cette chanson, la dernière (avec un morceau caché), décrit la douleur d’un homme que sa compagne a quitté pour un autre, avec une puissance poétique peu commune dans la chanson française.
« Que devient ton rire la nuit sous d’autres toits ?
Que deviennent tes lèvres murmurant tout bas
des mots plein de fièvre à un autre que moi ?
Disent-elles les mêmes choses que nous deux autrefois ?
(…)
Que deviens ton coeur quand il pense à moi ?
Bat-il toujours si vite ou s’est-il mis au pas ?
Moi je crois qu’il évite de palpiter pour moi.
Que deviens ton poing quand tu tends les doigts ? »