Archie Shepp & Horace Parlan – « Nobody knows the trouble I’ve seen »

À l’origine du blues et du jazz, il y a notamment ce qu’on appelait aux USA le « negro spiritual » , un genre de musique vocale souvent imprégnée d’une forte dimension religieuse, inventé au XIXème siècle par les esclaves noirs des plantations des Etats du sud.

Les spirituals (puisque la formule est aussi utilisée pour qualifier un chant qui appartient à ce genre musical) expriment une expérience collective, celles d’esclaves qui, à peine débarqués sur le sol américain, sont coupés de leur famille, désocialisés, évangélisés de force et contraints de travailler jusqu’à l’épuisement, sous les brimades, les humiliations et les coups.

La réponse que les esclaves ont inventée pour supporter ces conditions de vie inhumaines a été de créer de nouvelles formes de sociabilité autour de ce que personne ne pouvait leur voler: la solidarité, la fraternité, la spiritualité, la prière, et la musique chantée ensemble dans les champs de coton. C’est dans ce creuset que sont nés le spiritual, puis le gospel: en dépit de leur condition scandaleuse, les esclaves mettent un point d’honneur à chanter leur foi et leur gratitude pour le créateur auxquels ils croient, et leur confiance dans le fait que le paradis leur est promis, dans ce monde ou dans le suivant. On y trouve une forte influence du Livre de l’Exode, qui raconte l’émancipation du peuple hébreu, et qui aide les esclaves à espérer se libérer un jour du joug de leurs maîtres.

Avec « Swing low, sweet chariot » ou « When the saints go marching in » , « Nobody knows the trouble I’ve seen » est l’un des plus célèbres spirituals, notamment parce qu’il a été rendu très populaire par plusieurs versions de Louis Armstrong.

Archie Shepp et Horace Parlan en proposent une version magnifique et intensément expressive, bien que pleine de retenue, de gravité et de subtilité. La ligne mélodique du sax soprano d’Archie Shepp, d’une clarté limpide, virevolte avec grâce autour du thème. Quant au piano d’Horace Parlan, il l’explore plus discrètement, mais de façon plus aventureuse. Cela donne un morceau lyrique et inspiré, qui invite au respect pour ce que le peuple des esclaves a subi, et pour la dignité et le courage avec lesquels il a combattu.

« Nobody knows the trouble I’ve been through

Nobody knows my sorrow

Nobody knows the trouble I’ve seen

Nobody knows my sorrow

Glory hallelujah!

Sometimes I’m up, sometimes I’m down

Oh, yes, Lord »

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