Je n’en suis pas totalement sûr, mais je crois bien que c’est la première œuvre de musique classique que j’ai écoutée. Quand j’étais petit, ma mère mettait parfois ce disque, dans la version racontée par Gérard Philippe, et je me souviens encore des émotions intenses que je ressentais en entendant l’oiseau virevoltant, le canard pataud et laborieux, et surtout, surtout, le loup à la démarche lente et menaçante. Lorsque Pierre s’éloigne du jardin de son grand-père, quelle frayeur! Et lorsqu’il réussit à attraper le loup, quel soulagement!
Sergueï Prokofiev a écrit et composé « Pierre et le loup » en réponse à la demande de la directrice artistique du Théâtre pour enfants de Moscou, qui souhaitait pouvoir faire découvrir facilement aux enfants les principaux instruments d’un orchestre symphonique en leur faisant écouter une œuvre spécialement conçue pour cela. On y entend donc successivement des petites scènes musicales (des « intermèdes ») , dans lesquels chaque personnage est représenté par un thème musical distinct et par un ou plusieurs instruments (le quatuor à cordes pour le lumineux petit Pierre, le basson pour le grand-père bougon, la flûte traversière pour l’oiseau agile, la clarinette pour le chat insaisissable, le hautbois pour le canard laborieux, les cors pour le sinistre loup, et enfin les trompettes, les timbales et la grosse caisse pour les chasseurs vaniteux).
Au-delà de l’aspect musical et pédagogique, « Pierre et le loup » , comme tous les contes pour enfants, a une dimension morale. Mais ici il ne s’agit pas, comme dans beaucoup de contes, de mater l’enfant qui l’écoute et d’ancrer en lui la peur de l’inconnu et le désir de rester dans le « droit chemin » . Bien au contraire, Prokofiev imagine une morale libératrice qui encourage l’enfant à faire preuve d’astuce, de courage et de solidarité pour affronter les dangers de la vie.
Ce qu’apprend Pierre dans un premier temps, c’est qu’en effet l’inquiétude de son grand-père est fondée: s’il oublie toute prudence, s’il fait trop confiance, s’il s’aventure dans la nature sauvage et menaçante, il risque d’y laisser des plumes, comme l’oiseau insouciant a failli être croqué par le chat, et comme le canard nonchalant a été englouti par le loup.
Faut-il alors qu’il renonce à s’éloigner ? Pierre a une autre idée: attendre que le grand-père s’endorme, et aller chasser le loup avec ses amis. Il se saisit d’une corde, il grimpe dans un arbre, et tandis que l’oiseau voltige autour du loup pour l’agacer et attirer son attention, il réussit à attraper le loup par la queue avec un nœud coulant, et à le hisser (le loup en question finira au zoo, c’est le côté moins plaisant de l’histoire).
« Pierre et le loup » est une œuvre unique, grâce à laquelle l’enfant qui l’écoute peut tout à la fois se familiariser avec la musique classique et apprendre à reconnaître des instruments, apprivoiser ses peurs, fortifier sa confiance en soi et en ses capacités…
Je ne l’ai quasiment pas fait écouter à mes enfants, et après coup je le regrette. J’espère bien qu’un jour je serai un grand-père (pas trop bougon si possible), et que je pourrai diffuser à mes petits-enfants un peu de mon amour de la musique et de la nature…