Philippe Katerine n’est pas totalement aux antipodes de ce que je suis (il ne faut pas non plus que j’exagère), mais il n’en est peut-être pas très loin, et je crois que c’est justement pour cela que j’apprécie autant sa personnalité fantasque, déconcertante et attachante.
Moi qui suis quelqu’un de plutôt sage et rationnel, qui aime tant analyser et comprendre, qui ai encore tant de mal à lâcher les freins, à déposer le cerveau au vestiaire et à confier les rênes à mon enfant intérieur, je suis assez fasciné par la folie de cet homme, par son côté déjanté, par sa capacité à chanter, à parler ou à s’habiller sans le moindre souci de ce que les autres pourraient en dire ou en penser. Voilà un type qui (en apparence en tous cas) fait très exactement ce qui lui plaît, comme ça lui plaît, au moment où ça lui plaît.
Peut-être que dans la vie de tous les jours il n’est pas toujours très simple à vivre pour son entourage ? Mais en tous cas vu de loin, comme artiste, je le trouve tellement drôle, rafraîchissant, touchant…
Tout cela est d’autant plus frappant que quand il était jeune, Philippe Katerine était maladivement timide et introverti. Pourtant il n’a pas fait le choix de se soumettre et de lisser ses aspérités pour s’adapter au monde, il a trouvé en lui le courage d’assumer sa douce folie et de se présenter tel qu’il est. C’est une magnifique leçon de vie – en tous cas je le prends personnellement comme une magnifique leçon de vie.
Je suis également ému par le peu que je connais de sa vie de famille, par la tendresse et l’amour qui irradient dans le regard de sa compagne Julie Depardieu lorsqu’elle parle de lui, et plus encore lorsqu’elle le regarde faire le clown.
Dans « Le grand bain » , pour lequel Philippe Katerine a reçu le César du meilleur second rôle en 2020, il compose un personnage qui joue devant la caméra avec une candeur et une innocence très touchantes, et parfois désopilantes – exactement comme un jeune enfant s’amuse à animer son petit monde avec ses poupées, ses voitures ou ses Playmobil, en se laissant emporter par sa fantaisie du moment.
En tant que chanteur, tout le monde connaît le fameux « Louxor j’adore » , où Philippe Katerine donne l’impression de s’amuser avec l’interrupteur comme un gamin farceur (« Et je coupe le son!… Et je remets le son!… » ) J’aime aussi le morceau qu’il a chanté comme invité sur le dernier album de Lomepal (« Les cinq doigts » ) , qui s’ouvre par cette énumération étonnante: « Le pouce, c’est toi / L’index, c’est toi / L’auriculaire, c’est toi / L’annulaire, c’est toi / Et le majeur, c’est moi! » Et la façon hilarante dont il raconte l’histoire du pauvre « Poulet N° 728 120″…
Dans « Moment parfait » , le côté Pierrot lunaire de Philippe Katerine est encore plus assumé, notamment lorsque dans le clip il vient atterrir délicatement sur un étang forestier, en pleine nuit, tel un extra-terrestre habillé de paillettes – quelle scène pleine de mystères!
C’est une chanson méditative dans laquelle Philippe Katerine nous invite d’une voix flegmatique à observer et à cueillir les moments parfaits de notre vie, pour les vivre plus intensément, pour en goûter davantage la saveur, pour les graver dans notre mémoire, et aussi pour faire notre possible afin qu’il y en ait d’autres, et d’autres encore, et d’autres encore, et d’autres encore, et d’autres encore… Il suffit d’être attentif et de les chercher, ces moments parfaits, pour se rendre compte qu’il y en a beaucoup plus que ce que nous croyons lorsque nous nous laissons kidnapper par nos occupations, nos soucis ou nos projets.
Parmi les moments parfaits, il y a notamment tous ceux où l’amour s’offre à nous de façon rayonnante, spontanée et gratuite. À la fin du clip, après avoir joué seul au piano, de dos, légèrement voûté, revêtu d’une abracadabrante grenouillère rose, Philippe Katerine accueille avec un grand sourire ses deux petits garçons, qui se précipitent vers lui pour se jeter dans ses bras.
L’enthousiasme et la joie des enfants est l’un des miracles de la vie, et c’est celui qui m’émeut le plus. Avec Dorian et Aurore, grâce à eux, j’ai vécu beaucoup, beaucoup, beaucoup de merveilleux moments parfaits, et même plus que parfaits. Et ces moments parfaits, je sais que je ne les oublierai jamais.
« Ni souvenir,
ni avenir
Un oiseau passe,
chante Montparnasse,
Poulenc, Apollinaire
Bien sûr qu’il peut le faire
Tout nu,
dans l’eau sur le dos,
je vois un nuage
C’est un mirage
C’est un moment parfait
Ne l’oubliez jamais
Ne l’oubliez jamais
Ne l’oubliez jamais
Ne l’oubliez jamais »