Il y a des chansons de Cali que j’écoute avec plus de plaisir et de bonne humeur que celle-ci, car elles sont plus faciles à chanter, et quand bien même elles parlent de rupture, elles sont plus toniques et entraînantes (« Je m’en vais » , « Elle m’a dit » ), parfois même extrêmement drôles (« Le grand jour » ).
Mais celle-ci me vrille carrément le coeur.
J’ai vécu au quotidien avec mes enfants jusqu’à la sortie de leur adolescence, et je leur dois une grande partie de mes plus grands moments de bonheur. Un soir d’été où nous rentrions d’une promenade en vélo au plan d’eau du Canada, dans le chemin forestier qui ramène vers la ville, ils discutaient en riant une dizaine de mètres devant nous, et nous les écoutions en roulant côte à côte, en silence. Au bout d’un moment, j’ai simplement dit en souriant: « Le bonheur, c’est ça » . Ça n’a pas brisé le charme, bien au contraire, car ça nous a permis de constater que nous ressentions tous les deux très fort à quel point c’était un « moment parfait » , et peut-être même le plus parfait des moments parfaits.
Ces mots résonnent encore en moi, très souvent. Le bonheur, pour moi en tous cas, c’est ça: être avec des gens que j’aime, les sentir heureux, joyeux et pleins de vie, et nous sentir reliés les uns aux autres, connectés, accordés comme les instruments d’un orchestre, en sécurité les uns avec les autres.
Alors j’ai souvent eu le coeur serré en pensant à mes amis, hommes et femmes (c’est important pour moi de le préciser), que je voyais affligés de n’être que des parents à temps partiel, et qui se sentaient déchirés et privés de la plus belle partie de leur vie le reste du temps…
Cette chanson décrit d’une façon vraiment terrible et poignante cette sensation d’être arraché à une partie de soi-même, littéralement démembré. Le texte est d’une désolation mortelle, il décrit une vie de couple désastreuse qui est devenue un champ de bataille et de ruines. Quant à la musique, elle démarre par des accords brusquement martelés au piano, elle se déploie de façon de plus en plus désarticulée et virulente, et tout à la fin, les coups de violon stridents, qui s’arrêtent soudain, semblent laisser derrière eux un parent démantelé, exsangue…
« Impossible de garder sur moi son odeur
comme un précieux trésor
Et je cherche partout mon bébé son odeur
Peut-être suis-je déjà mort »