Au début des années 90, après quelques années de vache enragée, le groupe anglais Pulp a enfin reçu un beau succès d’estime avec une pop mélancolique et neurasthénique, mais aussi excentrique et lyrique, à l’image de son chanteur Jarvis Cocker, un grand dégingandé aux costumes de scène parfois un peu improbables.
Le succès n’est arrivé que plus tard, lorsque Pulp est passé sur des labels mieux distribués, mais les albums ultérieurs n’ont pas pour moi la saveur du commencement, et en particulier de l’album « Separations » .
À l’époque (1992), cet album était à contre-courant par rapport au bruit et à la fureur du grunge. Ici il est question d’un romantisme sombre (oui je sais, c’est un pléonasme), à première vue assez kitsch, mais en réalité très sensible (oui je sais, c’est encore un pléonasme). L’expression des sentiments est intense, encouragée sans doute par l’usage de certaines substances qui n’étaient pas en vente libre dans les groceries de Sheffield. Ce n’est pas pour rien si Pulp est alors considéré comme l’un des représentants de l’Acid house…
Cet album est hétéroclite, car il assemble des morceaux composés et enregistrés à des dates différentes, ou qui ont été remixés en version clubbing. La première moitié (la face A, c’était juste à l’apparition du CD) anticipe sur la brit pop, avec des titres assez intimistes et des mélodies très légères, tandis que la face B bascule dans un registre plus frénétique, avec une musique électronique encore plus omniprésente (l’influence de Kraftwerk est très prégnante sur le dernier titre).
Plusieurs morceaux mixent de façon géniale le côté mélancolique et le côté dansant – par exemple « Countdown » ou l’ébouriffant « My legendary girlfriend » . Comme l’a écrit parfaitement Hugo Cassavetti, Pulp est passé maître dans « l’art de libérer son spleen sur la piste de danse » .
« Don’t you want me anymore ? » fait partie de la première moitié de l’album: une pop ciselée, avec une mélodie magnifique et des arrangements subtils.
C’est une chanson qui décrit la stupéfaction et l’effroi d’un garçon qui, après l’avoir délaissée, revient vers la fille qu’il aime, certain d’être attendu avec amour… mais qui se rend compte qu’elle s’est détachée de lui et qu’elle s’est déjà remise en couple avec un autre. Ce qu’il exprime alors, ce sont les deux premières étapes du cycle du deuil: le déni (non non, ceci n’est pas en train d’arriver, ce n’est pas possible, ça doit être un mauvais rêve), et le marchandage (et s’il se passait ceci, est-ce que ça pourrait tout effacer ?)
La façon dont la chanson s’emballe subitement, à 1’48, est très saisissante. La voix de Jarvis Cocker s’affole puis s’étrangle, le violon devient plus strident, le rythme s’accélère et devient quelque peu syncopé, et tout cela traduit de façon subtile l’impression que le sol se dérobe, et la terreur que se réactivent des blessures anciennes: « Quoi ? Un abandon, encore ? »
« Don’t you want me anymore ?
And I can’t I can’t believe it’s happening
I know that oh there must be some mistake
You’ve found yourself another lover and you’re glad we made the break
Oh you don’t even you don’t even want to see me
You just wanna wave and say «Goodbye. Go away now, and leave us alone
No this house is not your own.» »