C’est une chanson qui me touche beaucoup, pour plusieurs raisons.
D’abord pour sa superbe évocation de la douceur de vivre et de la beauté du monde: elle parle de lieux exotiques (Syracuse, Babylone, l’île de Pâques, le sommet du Fuji-Yama…), d’animaux majestueux (« les grands oiseaux qui s’amusent / à glisser l’aile sous le vent« ) , de moments de plaisir (« m’enivrer de vin de palme / en écoutant chanter le vent« ) , d’oeuvres du patrimoine culturel (« Rêver des amants de Vérone« )…
Le texte nous invite à la rêverie et à l’émerveillement, à se créer des souvenirs à propos de lieux que l’on n’a pourtant jamais visités, et à chérir ces « souvenirs » avec autant de ferveur que s’ils étaient réels. C’est une chanson sur le fabuleux pouvoir de l’imagination, magnifié par une plume élégante (Salvador avait demandé à Bernard Dimey, l’auteur du texte, de lui écrire une chanson avec « les plus beaux mots de la langue française« ).
J’aime aussi cette chanson pour la voix d’Henri Salvador, grave, profonde et chaude. Dans cette captation en concert de 2002, elle est très légèrement chancelante, mais toujours émouvante malgré ses 85 « printemps partis » . Elle est si bien mise en valeur par cette version lente et langoureuse, par cette mélodie et cette orchestration délicate…
Si j’aime cette chanson, c’est enfin parce que mon grand-père, qui n’a quasiment jamais voyagé dans sa vie, et qui écoutait très, très peu de musique, l’aimait beaucoup – je me souviens même l’avoir surpris à la fredonner.
Dans ma mémoire, la belle voix de mon grand-père qui chantait, c’était le signe qu’il était joyeux, et j’aimais tant le voir joyeux, avec ses yeux qui se faisaient tout à coup malicieux et sa main qui se posait subitement sur sa bouche, comme s’il devait s’excuser d’avoir cédé à la tentation du plaisir… Mon grand-père était un homme de devoir, courageux et droit, je l’admirais beaucoup pour cela. Mais c’est par ses éclairs de tendresse et de joies enfantines qu’il est gravé en moi.
« J’aimerais tant voir Syracuse,
l’île de Pâques et Kairouan,
et les grands oiseaux qui s’amusent
à glisser l’aile sous le vent
(…)
Avant que ma jeunesse s’use
et que mes printemps soient partis,
j’aimerais tant voir Syracuse,
pour m’en souvenir à Paris »