Jim Hall & Bill Evans – « Concierto De Aranjuez – Adagio »

Le concerto d’Aranjuez pour guitare et orchestre a été écrit en 1939 par le compositeur espagnol Joaquin Rodrigo (et pas par un certain Aranjuez, clin d’oeil à Pierre Desproges). Il s’agit d’une œuvre clairement anachronique, inspirée par des compositeurs baroques comme Antonio Vivaldi ou Domenico Scarlatti.

Rodrigo voulait qu’à l’écoute de ce concerto on se sente immédiatement transporté dans un tout autre univers, plongé dans une atmosphère légère et bienheureuse, comme si on était au beau milieu de la nature printanière. Le concerto évoque des jardins magiques comme ceux du palais royal d’Aranjuez (l’une des résidences du roi d’Espagne), de l’Alcazar de Séville ou de l’Alhambra de Grenade (l’un des paradis sur terre, que j’ai eu le privilège de visiter en famille durant une splendide journée de printemps en 2013). Pour produire cet effet, Rodrigo mobilise les instruments de l’orchestre de sorte qu’ils évoquent des sons naturels: le chant des oiseaux, le bruissement du vent dans les feuilles, le clapotis de l’eau des fontaines…

Ce concerto d’Aranjuez est notamment connu pour le deuxième mouvement, dans lequel la guitare dialogue avec l’orchestre et avec plusieurs instruments solo (le cor anglais, le basson, le hautbois…). Ce mouvement est très beau, il est composé comme de la dentelle, la guitare est virtuose et aérienne. Mais je ne suis pas complètement conquis, car je ne suis pas fan de l’usage de la guitare en musique dite « classique » .

Ce concerto a été très souvent repris. La plus célèbre version est celle, lente, paisible et grave, enregistrée par Miles Davis en 1960 sur l’album « Sketches of Spain » . La trompette remplace la guitare, et c’est Gil Evans qui s’occupe de l’orchestration. Ce disque a marqué l’histoire du jazz, même si certains estiment que ce n’en est pas, car trop peu de place est laissée à l’improvisation. Miles Davis s’est moqué de ces pinailleries avec un haussement d’épaules: la mélodie, a-t-il répondu, est tellement belle et puissante qu’on n’a pas grand-chose de mieux à faire que de la suivre tranquillement. Ce n’est pas du jazz, so what ? « It’s music, and I like it » .

En 1975, le guitariste Jim Hall est allé beaucoup plus loin dans l’interprétation de cet adagio. Dans une session de très haut vol qui réunit notamment Chet Baker à la trompette et Paul Desmond au sax alto, sa formation en explore les coins et les recoins, dans la pure tradition du jazz: après quelques minutes d’exposition du thème, les solos se succèdent, avec des improvisations plus brillantes les unes que les autres. Quand j’écoute le solo de Paul Desmond, je me dis « Oh, c’est le plus beau » . Puis arrive celui de Chet Baker, et je me dis « Ah en fait c’est peut-être bien celui-là » . Et puis Roland Hanna prend la lumière au piano, et je me dis « Pfouh, qu’est-ce qu’il est génial aussi… » Et Jim Hall revient, et puis Desmond… et comme presque toujours en jazz, ça finit par le retour du thème principal, exposé de façon aussi éblouissant qu’au début. Tout est feutré, délicat, soyeux, langoureux – en un mot magique.

J’ai écouté ce morceau des dizaines et des dizaines de fois, toujours avec le même plaisir. Si vous le découvrez et s’il vous emporte, sachez que le reste de l’album est magnifique aussi, avec notamment deux versions enthousiasmantes de « You’d be so nice to come home to » .

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