Complotisme et protection de l’enfance

Je connais bien la protection de l’enfance. Le sujet me passionne, et j’ai publié il y a quelques années un livre sur le système français de protection de l’enfance.

La #protectiondelenfance est un secteur extrêmement éprouvant pour les personnes qui y travaillent.

Etre engagé dans le champ de la protection de l’enfance, c’est être percuté quotidiennement par des situations terribles et bouleversantes.

C’est être confronté à des familles, des parents et des enfants qui sont en grande difficulté, et parfois fracassés, détruits.

C’est se demander en permanence si on n’est pas en train de prendre une mauvaise décision, c’est être tenaillé par l’angoisse de mal faire – en sachant que si on commet une erreur elle peut avoir des conséquences dramatiques, parfois mortelles.

C’est aussi savoir que quoi que l’on décide (par exemple retirer un enfant de sa famille, le confier à telle ou telle association, ou à telle ou telle famille d’accueil, ou bien au contraire le réinsérer dans sa famille), il y a aura toujours des gens pour vomir sur l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), les juges pour enfants et les travailleurs sociaux, en les accusant de faire n’importe quoi, par exemple d’avoir « honteusement » retiré trop vite l’enfant de sa famille, ou de l’y avoir « honteusement » laissé trop longtemps.

Il y a quelques années, pour écrire ce livre, j’avais personnellement rencontré 105 professionnels et élus en charge de la protection de l’enfance (oui, 105, les chercheurs sont des branleurs, c’est bien connu), au sein de l’Etat, des collectivités locales, de la magistrature, des associations… J’avais été frappé par le dévouement de ces personnes, par leur sensibilité, par leur professionnalisme, et surtout par le fait qu’ils se posaient énormément de questions et qu’ils étaient très remués à titre personnel parce qu’ils vivaient au quotidien.

Je me souviens notamment du docteur Maurice Berger, chef du service de pédopsychiatrie au CHU de Saint-Etienne: il était littéralement habité par la cause des enfants, et son visage exprimait la souffrance dont il avait à s’occuper, et qu’il prenait sur lui-même.

Pourquoi je parle de ça?

Parce que depuis des mois, je lis sur les réseaux sociaux des accusations délirantes, au sens psychiatrique du terme (je pèse mes mots), sur les vastes réseaux pédo-satanistes qui seraient à l’oeuvre partout dans le monde, et notamment en France. L’ASE n’aurait d’autre but que de kidnapper des dizaines de milliers d’enfants chaque année pour les livrer aux pédocriminels – ou bien de laisser volontairement les enfants dans leur famille pour qu’ils soient plus efficacement livrés à leurs bourreaux (quand on a basculé dans le complotisme, la logique et la vraisemblance ne sont plus un problème).

Pendant des mois, j’ai été effaré en lisant ce genre de conneries complotistes, y compris dans les messages que m’envoyait l’un de mes amis, en me disant que c’était une insulte à celles et ceux qui s’engagent justement pour venir en aide aux enfants et à leurs familles, du mieux qu’ils peuvent, et qui bien souvent ont du mal à s’endormir à cause de ce qu’ils ont vu ou entendu pendant leur journée de travail.

Il y a une dizaine de jours, une mère totalement délirante a recruté des hommes de main pour organiser l’enlèvement de sa fille Mia. Et sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers de gens qui ne connaissent rien à la protection de l’enfance, qui ne sont mus que par une méfiance systématique et paranoïaque vis-à-vis de toute autorité quelle qu’elle soit, ont applaudi en disant que Mia est plus en sécurité avec sa mère que « dans les griffes des services sociaux » – comme si on l’avait confiée de gaieté de coeur et sans aucune raison à la garde de sa grand-mère.

Voilà ce sur quoi peut déboucher le complotisme paranoïaque qui se déverse sur le net.

Ça me fait de la peine pour les professionnels de la protection de l’enfance, mais aussi bien sûr pour les presque 300.000 enfants qui bénéficient d’un soutien et d’une protection de l’ASE – et également pour les parents, dont la plupart acceptent, voire sollicitent le soutien éducatif de l’ASE (quand on doit faire intervenir le juge des enfants pour le leur imposer ou pour séparer l’enfant de sa famille, c’est que la situation n’est pas seulement « préoccupante », mais que le danger est immédiat, grave et avéré).

Mais quand je pense au flot de merde que les gourous complotistes déversent à longueur de vidéos sur Internet, qui est directement responsable de ces dérives individuelles, qui incite des pauvres gens totalement paumés à se jeter à corps perdu dans le n’importe quoi, je dois dire que ça me donne aussi une sérieuse envie de dégueuler.

https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/enlevements/enlevement-de-mia/enquete-franceinfo-enlevement-de-mia-lola-montemaggi-une-mere-enfermee-dans-une-spirale-complotiste_4382325.html?fbclid=IwY2xjawIYS05leHRuA2FlbQIxMQABHeFODI-fW77Nek1vMpYzdIA7M7hGG2y0tjzL03xGfUTvBdJnPNyc7zQjbQ_aem_7I1-juy-yRcqsbUj22fcdw

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