The Cure – « All cats are grey »

« Faith » , c’est un album tourmenté, froid, blafard, ténébreux, funèbre, fantomatique… THE album à écouter quand on est adolescent introverti et fragile et qu’on vit le monde comme un endroit inhospitalier où « personne me comprend! » Un album pour les âmes en perdition et prises de vertige devant le vide de l’existence, comme une errance de 40 minutes dans les limbes, à se demander si on continue ou si on revient en arrière.

Présenté ainsi, ça fait moyennement envie, c’est sûr. Et pourtant, quel album…

« All cats are grey » , c’est d’abord une des plus belles intros de tout l’univers, étendue et désolée comme un paysage de steppe mongole battue par le vent en plein novembre. D’abord une batterie assourdie pendant quatre mesures. Ensuite une vague de synthé longue comme une semaine sans pain. Ça semble ne pas en finir, on croit que Robert Smith va chanter, mais non, ça repart pour un tour.

Ce n’est qu’au bout de deux minutes dix-huit secondes que la voix de Robert Smith émerge, blanche, livide, presque caverneuse, comme s’il avait le sang glacé d’avoir vu la faucheuse surgir du brouillard dans les ruines du prieuré Bolton (c’est l’image de la pochette de l’album).

La fin est tout aussi impressionnante: alors qu’on semble parti pour un bon vieux fade out des familles, voilà qu’apparaissent quelques notes graves au piano, qui résonnent comme si elles étaient sorties d’outre-tombe, pendant encore quatre mesures.

Et clac, démerde-toi avec ton angoisse.

C’est une chanson glaciale, qui exprime de façon parfaite à quel point quand on est moralement au fond du trou, tout est morne et désespérant, rien n’a plus ni goût, ni couleur, ni saveur. Tous les chats sont gris, et les nuages aussi bien sûr, et les visages, et les coeurs…

J’ai adoré cette chanson, et aujourd’hui je l’adore plus encore, pour sa beauté parfaite, pour sa radicalité dans l’expression de la désespérance… et aussi, peut-être, parce qu’elle me rappelle d’où je viens.

« I never thought that I would find myself

in bed amongst the stones

The columns are all men begging to crush me

No shapes sail on the dark deep lakes

And no flags wave me home

In the caves, all cats are grey

In the caves, the texture coats my skin

In the death cell, a single note rings on and on and on »

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