Agnes Obel – « Dorian »

Quelle belle surprise ça a avait été, en écoutant le deuxième album d’Agnes Obel, de découvrir un titre qui porte le prénom de mon garçon (avec une prononciation différente)!

Il se trouve qu’après 18 semaines de longue séparation, Dorian arrive aujourd’hui pour passer un moment chez moi, alors c’est le bon jour pour le partager.

Un proche nous a fait remarquer un jour que nos deux enfants portent un prénom qui évoque le levant, l’est: Dorian (« D’orient » ) , puis Aurore quatre ans plus tard. Nous n’avions pas du tout pensé consciemment à cela en choisissant ces prénoms, mais j’ai immédiatement trouvé que cette interprétation est très juste, et elle dit énormément de ce que nous avions dans le coeur lorsque nous avons souhaité avoir des enfants. Nous attendions secrètement que Dorian et Aurore bouleversent notre vie et nous fassent en quelque sorte accéder à une deuxième naissance… et c’est ce qu’ils ont fait, en la faisant basculer dans le merveilleux.

J’ai eu deux vies: avant eux, et depuis eux.

Pour dire quand même quelques mots d’Agnes Obel…

L’album, « Aventine » , paru en 2013, me fait beaucoup penser au surnaturel « White chalk » de PJ Harvey.

Comme sur le précédent (« Philarmonics » ) , les chansons sont délicates, raffinées et épurées (elle a beau être berlinoise d’adoption, c’est plutôt aux grands espaces déserts et glacés que cette danoise me fait penser, et elle n’est pas pour rien une grande admiratrice d’Erik Satie), et les écouter est une expérience d’introspection et de vagabondage musical.

Les instruments de prédilection sont le piano, le violon et le violoncelle (magnifiquement utilisés en rythmique sur « The curse » , avec la technique du « col legno » qui consiste à frapper les cordes avec le bois plutôt qu’avec la corde de l’archet), des percussions discrètes, et parfois des instruments originaux comme la harpe ou la scie musicale.

L’univers musical est surtout composé de ballades profondément mélodieuses et arrangées de façon élégante. Si au premier abord cela peut paraître un peu léger et superficiel, en réalité c’est une invitation à entrer dans la profondeur des émotions, des pensées et des souvenirs.

Quant au chant, il est extrêmement subtil et riche: tantôt on a l’impression que la voix est fragile, timide et distante, tantôt elle paraît au contraire voluptueuse et conquérante, avec parfois même quelques envolées dans les aigus (sur le bien nommé « Fuel to fire » , ou sur « The curse » ). Et si l’une des chansons s’appelle « Words are dead » , c’est bien nous qui restons sans voix en écoutant Agnes Obel.

Au final, celle-ci offre dans un mélange de mélancolie et de nostalgie, de romantisme, de détachement, de sensualité, de douceur, d’assurance… Tout cela est mystérieux, troublant et séduisant. En l’écoutant, je me dis parfois que je comprends pourquoi Ulysse s’est protégé du chant des sirènes en demandant qu’on l’attache au mât de son bateau: comme il doit être difficile de ne pas rendre d’emblée les armes face à une telle femme, belle, talentueuse (elle est musicienne, auteure et compositrice), élégante et sensuelle.

Les images en noir & blanc de ce clip, tournées en 1958, mettent en scène des danseurs du Metropolitan Ballet Company qui semblent tirés d’un film de Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Ils ont un peu l’air de fantômes qui tournent, flottent, glissent et dérivent dans le vide sidéral. Ça donne une impression de légèreté, que l’on peut trouver inquiétante ou apaisante, selon son caractère ou son humeur du moment. Pour ma part j’aime bien.

Et en tous cas ça va parfaitement avec l’état d’esprit qui a été le mien pendant les premiers jours de Dorian dans nos bras: j’avais l’impression de planer sur coussin d’air, et rien que d’y penser me bouleverse à chaque fois.

« Dorian, carry on »

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