J’ai découvert ce groupe lorsque Daniel Darc a sorti son splendide premier album solo (Crèvecoeur ») , car c’est en son sein qu’il a fait ses premières armes à partir de la fin des années 70.
Taxi Girl est un groupe un peu difficile à classer. Est-ce de la new wave ou du rock électro (pour les sons synthétiques et les mélodies pop parfois sautillantes) ? Est-ce du punk (pour les textes et l’ambiance) ? En tous cas le fil rouge est une esthétique romantique et sombre, un dandysme cynique et décadent, et au final une forte tendance à l’autodestruction: leur unique album s’appelle « Seppuku » (pour le reste ce ne sont que des singles ou des EP), Daniel Darc s’est un jour tailladé les veines alors qu’il assurait la première partie d’un concert des Talking heads (anecdote presque incroyable!)…
L’album « Seppuku » est aussi parsemé de nombreuses références à l’occultisme, aux films d’horreur, voire au satanisme. « La femme écarlate » (le célèbre occultiste Aleister Crowley donnait ce surnom à ses compagnes) se termine par un « Notre Père » enregistré à l’envers, « John Doe » évoque le meurtre satanique de Sharon Tate par la secte de Charles Manson…
Tout cela pue très fort le malaise existentiel d’une crise d’adolescence qui s’éternise et qui devient de plus en plus glauque, de plus en plus maladive, de plus en plus mortifère. Et de fait, quand on flirte avec la mort, il arrive malheureusement assez souvent qu’elle survienne: le premier batteur du groupe Pierre Wolfsohn est mort d’une overdose à 20 ans…
Avec tout cela, c’est le genre de groupe sulfureux et maudit qui aurait peut-être pu me plaire quand j’étais adolescent. Mais aujourd’hui, cette espèce de dégoût profond pour la vie, cette extrême difficulté à vivre sereinement les relations humaines, ce pessimisme radical et suffocant, m’agacent plutôt, ou plutôt me font de la peine. Comme il faut être mal dans sa peau pour pouvoir ressentir, dire et faire des choses pareilles, surtout quand on est entré dans l’âge adulte…
Bref, quand j’ai découvert Daniel Darc, je ne suis pas devenu fan de Taxi Girl. J’avais déjà bien assez à faire avec mes propres ombres pour m’engluer dans les compulsions d’échec des autres. J’ai écouté une compilation, j’ai trouvé ça sympa (notamment le tube « Cherchez le garçon » , sans doute leur titre le plus célèbre), mais de là y m’y plonger… Daniel Darc, au moins, a choisi de tenter la voie de la rédemption, de façon éblouissante et infiniment plus émouvante.
Mais cette chanson a immédiatement émergé du lot.
À l’époque où elle a été enregistrée (« 82-84 » , titre du EP), le groupe n’est plus qu’un duo. Les claviers et la boîte à rythmes sont encore plus omniprésents, le son est riche, varié et subtil, la mélodie entêtante…
Et puis c’est le texte qui m’a surtout marqué. « Je suis déjà parti » est une chanson qui décrit l’état d’esprit amer dans lequel on se retrouve quand on sent que la fin est déjà là, et qu’elle jette une ombre qui empêche de profiter pleinement du moment qui reste encore à vivre. « Je suis déjà si loin » …
Cela vaut pour les petites choses (par exemple je déteste les veilles de départ après un séjour en vacances, quand on commence à rassembler ses affaires, à faire un peu de rangement, à regarder les horaires de train – on est encore là, mais déjà un peu ailleurs…).
Et cela vaut plus encore, bien sûr, pour les grandes. Par exemple on est encore en couple, mais une petite voix intérieure nous répète que ça ne marche plus, que ça ne durera peut-être pas bien longtemps, et que peut-être on ferait mieux d’en tirer les conclusions qui s’imposent et de tirer un trait, de démissionner, de déserter, de disparaître – et même, puisque c’est si douloureux à vivre, d’effacer, de faire comme si rien ne s’était passé (« Fais comme si / je ne t’avais jamais connu / N’en parlons plus » ).
Je suis bien placé pour savoir que ce n’est pas forcément la meilleure idée du monde d’écouter cette partie de nous qui se sent découragée. Le plus sûr produit du défaitisme, c’est le gâchis…
« Je suis déjà parti
Fais comme si tu
ne m’avais jamais connu
Tout est foutu
Je suis déjà parti
Fais comme si je
ne t’avais jamais connu
N’en parlons plus »