Dire Straits – « Brothers in arms »

Dire Straits est un groupe souvent méprisé au motif que c’est du « rock FM » . Sur Gougueule, l’une des premières références proposées quand on tape le titre de l’album « Brothers in arms » commence par « Nivellement par le bas de musiciens talentueux, production clinquante et froide, stratégie putassière et j’en passe » . Avec ça le groupe est rhabillé pour plusieurs hivers bien rigoureux.

Quand j’étais ado, j’avais parmi mes copains des critiques musicaux en herbe qui assénaient ce genre de discours avec la même conviction, avec cependant un vocabulaire plus rustre (« ça vaut que tchi » ). Ils avaient déjà bien intégré le « Si ça marche, c’est que c’est «commercial» , donc c’est naze » .

Et de fait pour marcher, ça marchait! Le nom du groupe vient de l’expression « to be in dire straits » (« être dans la dèche » ) , mais il porte bien mal son nom: 140 millions de disques vendus à ce jour, des concerts dans des stades bourrés à craquer, et la première vidéo diffusée lors du lancement de la chaîne musicale MTV a été celle du single « Money for nothing » …

Pour ma part je n’étais pas un très grand fan, mais j’ai quand même beaucoup écouté l’album « Communiqué » , et surtout « Alchemy live » , où j’aimais les longues balades romantiques comme « Romeo and Juliet » et « Telegraph road » …

Alors c’est sûr que musicalement, Dire Straits c’est sage et plan-plan, voire pépère. Une anecdote illustre très bien le côté lisse de cette musique: comme le disque « Brother in arms » est sorti pile au moment où les premières platines CD apparaissaient sur le marché (en 1985), et comme il est le premier de l’histoire à arborer le label DDD, il a beaucoup été utilisé par les vendeurs pour faire la promotion du « disque laser » , comme on disait à l’époque, en en vantant la qualité technique (« Ecoutez comme le son est clair et net! » ).

Une autre anecdote qui va dans le même sens: « Brother in arms » est le premier album dont les claviers ont été séquencés et arrangés sur un ordinateur. Cela a donné un son parfait sur le plan technique, mais froid et sans aucune aspérité, aux antipodes du souffle et des craquements des bons vieux vinyles.

Tout ça peut paraître anecdotique, mais c’est important pour comprendre le groupe et son succès. Dire Straits a été utilisé par Phillips comme un support de communication pour promouvoir une nouvelle technologie, ce qui n’est, avouons-le, pas très rock’n’roll. Mais Mark Knopfler n’en avait pas grand-chose à battre, parce que les clichés de la rock-star (« sex drungs & rock’n’roll » , les guitares fracassées et les minettes pelotées à la fin des concerts), ce n’était pas du tout sa came (comme l’indiquait aussi son inénarrable bandeau de tennisman à la John McEnroe): tout ce qui l’intéressait, c’était la recherche d’un son parfait, et pour ça quoi de mieux que le numérique…

Autre chose qui a été beaucoup reprochée à Dire Straits: on ne peut pas dire que ce soit un groupe qui ait été ouvert aux différents courants musicaux qui se sont déployés durant sa carrière. Disco, folk, funk, punk, reggae, new-wave, RnB, grunge, etc., rien de tout cela ne semble avoir influencé Mark Knopfler, qui s’est totalement moqué des modes musicales et qui est resté droit dans ses baskets, puis dans ses Mephisto.

Bon, je vais quand même arrêter de faire mon dédaigneux: je n’écoute plus beaucoup Dire Straits, et peut-être que si je ne le découvrais qu’aujourd’hui je n’apprécierais pas trop, mais quand une de leurs chansons me tombe dans les oreilles, ça me rappelle souvent de très bons souvenirs.

En particulier cette chanson, que j’aime vraiment beaucoup.

« Brother in arms » , c’est une dénonciation de la guerre que ne renierait pas une candidate au concours Miss France, avec le lyrisme en plus (« We’re fools to make war / on our brothers in arms » ). Écrite en 1982 pendant le conflit de la guerre des Malouines qui opposa le Royaume-Uni à l’Argentine, elle raconte à la première personne le point de vue d’un soldat en train de mourir sur le champ de bataille.

Bizarrement, et sans doute parce que mon anglais était bien trop défectueux, je n’ai pas du tout fait attention à ce message, et cette chanson m’a marqué, au contraire, comme un encouragement à être combatif pour ses droits, ses convictions et sa dignité.

La vie est aussi un combat – elle n’est pas que ça, mais elle est aussi ça. Il faut parfois désigner des ennemis et bander ses forces pour surmonter un obstacle, pour vaincre une peur, pour oser prendre un risque. Bien sûr c’est l’amour et la recherche du bonheur qui nous guide, mais on n’y arrive pas qu’en souriant. Et lorsqu’il faut monter sur le ring et aller à la baston, lorsque je sais que je vais prendre des coups, le fait de savoir que j’ai à mes côtés des « frères d’armes » qui ont à affronter les mêmes peurs, les mêmes fêlures et les mêmes ombres que moi, cela me rassure et m’encourage. C’est à cela que je pense lorsque j’entends la fin de chacun des couplets (« to be brothers in arms » , « my brothers in arms » , « our brothers in arms » ).

Il y a une autre raison qui me fait apprécier cette chanson: c’est l’une de celles que mon petit frère et moi aimons autant l’un que l’autre. Habituellement nos goûts sont assez différents, alors je suis touché que nous puissions prendre autant de plaisir l’un que l’autre à l’écoute de cette chanson.

« There’s so many different worlds,

so many different suns

and we have just one world,

but we live in different ones »

La reprise de Joan Baez est très belle, mais je ne suis pas totalement conquis par sa voix, trop nette et claire à mon goût, trop parfaite techniquement – comme Jean Ferrat par exemple, je trouve qu’elle chante « trop bien » pour que l’émotion passe vraiment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *