Mon album préféré d’IAM est « L’école du micro d’argent » (1997), avec notamment le fantastique morceau final « Demain c’est loin » , que j’ai partagé il y a quelques mois dans cette playlist.
Mais « Ombre et lumière » , sorti en 1993, est déjà très abouti, foisonnant, éclectique, riche de références et d’analyses très subtiles sur le plan mythologique, culturel, sociologique et politique. À mon avis, c’est un album fondateur, qui prépare le terrain pour le chef d’oeuvre à venir. Cela dit Akhenaton considère qu' »Ombre et lumière » est le meilleur disque du groupe, et « le plus rigoureusement rap » .
Ce qui me plaît le plus dans « Ombre et lumière » , c’est la folie et la drôlerie de beaucoup de textes. Il y a aussi des morceaux plus sombres (« J’aurais pu croire » , « Vos dieux ont les mains sales ») , mais ils m’ont moins marqué.
« Harley Davidson » , par exemple, se moque gentiment des kékés marseillais qui roulent à moto le long de la Corniche en matant les filles (« À te voir frimer sur la route, / on se demande si le casque sert à protéger le coude / Lunettes de soleil en pleine nuit, tu m’étonnes / que tu ne voies plus personne en Harley Davidson« ).
Carrément hilarant par moment, « Attentat II » est une parodie du petit monde de l’art contemporain, qui raconte l’épopée d’un groupe de jeunes marseillais passant « la frontière pour aller à Aix » , afin d’assister à un vernissage d’art contemporain. Ils vont sauter sur le buffet (« Culture, peinture, sculpture / Mais je vois dans le fond la nourriture « ) , se foutre de la gueule les artistes (« Ah, il l’a fait exprès, c’est un objet de culte ? / Vous me ferez signe quand vous l’aurez version adulte« ) , et plus encore de la cuistrerie des ceux qui s’enthousiasment lorsque l’un des jeunes dégrade un tableau d’un jet de ketchup.
« Reste underground » ironise sur les critiques reçues par IAM, qui était accusé par certains puristes de ne pas faire du rap, en tous cas de ne plus en faire, puisque si le succès est au rendez-vous, ça ne peut être que commercial (« Ouais, c’est ça reste underground / Dessous tu es, dessous tu resteras« ).
Il y a dans ces chansons une grande partie de ce que j’aime de Marseille: c’est une ville dingue, surprenante, exubérante, excessive, iconoclaste, et ce aussi bien dans les rues que dans les bars, à la plage, sur le vieux Port, à Notre-dame de la Garde (les maquettes de bateaux qui pendent du plafond!), et bien sûr au Vélodrome, où je suis allé plusieurs fois pour supporter l’OM et où à chaque fois l’ambiance était bouillante.
« Je danse le mia » est un titre très entraînant, notamment grâce au sample de « Give me the night » qui revient tout du long. Pour autant ce n’est pas de la dance, car la rythmique du rap est quand même bien présente, et car les passages parlés mettent le côté dansant en stand-by (notamment le discours d’accueil du DJ qui démarre à 2’23).
Ce qui me plaît aussi beaucoup dans cette chanson, c’est son texte, qui évoque avec une nostalgie mi-amère, mi-amusée les fiestas dans le Marseille des années 80. Des anciens combattants regardent dans le rétro et se souviennent de leurs exploits, à l’époque où ils portaient la nuque longue, où ils roulaient en R12 « la main sur le volant avec la moquette » , et où ils partaient chaque samedi en soirée « Stan Smith aux pieds, (…) Ray Ban sur la tête, survêtement Tacchini » , « chemise ouverte, chaîne en or qui brille » , pour se défier dans des « concours de danse improvisés » et tenter de lever des filles.
Il y a dans cette chanson une fierté populaire qui me touche beaucoup: on a bien conscience qu’on avait l’air ridicule, mais on ne regrette rien, parce qu’on s’est bien marrés et parce que ça nous faisait respirer au milieu du quotidien morne des quartiers (« On râlait que c’était nul, que ça craignait / Le samedi d’après on revenait tellement qu’on s’emmerdait« ). Akhenaton a décrit cet état d’esprit de façon émouvante: « C’est surtout la fin de l’adolescence, le début des inquiétudes d’adulte. (…) Désormais, nos vies sont plus confortables, mais aussi plus ternes, plus inquiètes. »
Je me reconnais assez dans cette nostalgie, et j’essaye de cultiver cette fidélité à l’égard de mes jeunes années, quand bien même cela surprend souvent mes amis.
Par exemple, beaucoup d’entre eux détestent ou méprisent le foot (notamment dans les milieux écolo et collapso), avec je l’avoue de très bonnes raisons. Mais du coup j’ai eu longtemps l’impression que c’était un plaisir coupable que de regarder un bon match entre potes avec des pizzas sur la table basse. Alors je n’en parle pas souvent à mes amis branchouilles, pour qui c’est presque pire qu’aller au sex-shop.
Pourtant j’aime vraiment ces soirées. Quand j’étais à l’école primaire, je rêvais d’être avant-centre du Racing club de Lens et de l’équipe de France, et aujourd’hui encore j’ai gardé dans mon placard des maillots de l’OM et du Barça (et aussi un de Liverpool). Je jette toujours un œil sur les résultats de l’OM, même si c’est le plus souvent assez déprimant depuis l’arrivée de qataris au QSG… (cela dit, à jamais les premiers quoi qu’il arrive 💪)
Il faut avoir un peu de bouteille pour comprendre à quel point nos jeunes années nous marquent à jamais.
« Au début des années 80, je me souviens des soirées
où l’ambiance était chaude (…)
Je te propose un voyage dans le temps, via planète Marseille »