Bon Iver, ça sonne comme le nom d’un rocker (Bon est par exemple le prénom du premier chanteur d’AC/DC Bon Scott), mais en réalité c’est le nom d’un groupe américain dont le leader est Justin Vernon.
Le premier album, « For Emma, forever ago » , très dépouillé, dans la pure tradition du folk rural (on pense souvent au « Nebraska » de Springsteen), a été écrit et composé par Justin Vernon dans une cabane du Wisconsin, en trois mois, suite à une rupture amoureuse. Il l’a auto-produit et l’a mis en ligne dans l’espoir d’être repéré et signé par un label. Ces deux anecdotes en disent déjà pas mal sur le bonhomme: il ne fait pas les choses à moitié, il est très sensible, il est inspiré par la nature…
Après le succès critique de ce premier album, le groupe en sort un second « éponyme » , comme on dit. Mieux produit, subtilement arrangé, soutenu par de nombreux instruments (des cordes, des cuivres, des saxophones, des claviers, beaucoup de percussions…), l’album « Bon Iver » a carrément été encensé par la presse spécialisée comme par la plupart des médias grand public, qualifié d' »envoûtant » , « hypnotisant » , « onirique » , « majestueux » – pour L’Express c’est même un « petit morceau de paradis » ! Quant au site Internet Pitchfork, spécialisé dans le rock indé, il l’a pour sa part élu album de l’année.
C’est un album qui tient un peu de l’album concept, dans la mesure où la composition et l’ordre des morceaux sont soigneusement pensés pour raconter une histoire particulière, celle d’un homme qui passe par différents cycles de sa vie, avec une succession de commencements et de fin. Comme l’a dit Justin Vernon, le premier morceau, « Perth » , « raconte l’éveil, le départ » , tandis que la fin de l’album, avec la chanson « Beth/Rest » , symbolise « le bout du chemin » . Par ailleurs, l’album est une sorte de carnet de voyage impressionniste (quatre chansons portent le nom d’une ville ou d’un lieu). Au final c’est une succession de petites histoires qui, maillées ensemble, forment le tissu d’une vie, avec ses hésitations, ses bifurcations, ses regrets, ses chagrins et ses joies.
Voilà pour l’album – j’espère que cette description fait envie.
Quant à la chanson, « Michicant » , quand j’ai pris l’habitude de l’écouter, et après avoir vu la superbe pochette, elle m’a toujours fait penser à un message qui serait envoyé par un bûcheron délicat, sûr de sa force, mais qui décide de ne pas la déployer et de laisser plutôt s’exprimer sa sensibilité, profitant notamment de sa voix haut perchée de falsetto. Je n’ai pas fait attention aux paroles, qui sont assez obscures, trop en tous cas pour que je puisse bien en comprendre le sens à cause de mon anglais chancelant. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est l’ambiance musicale éthérée et tranquille, où percent néanmoins des émotions à fleur de peau.
« Michicant » est introduite par cinq secondes de drôles de sons, elle commence par un « Il était une fois » d’une élégance toute simple (« I was unafraid, I was a boy, I was a tender age » ) , et elle finit par un constat tranchant et désolé (« Love can hardly leave the room / with your heart » ).
La chanson décrit ce qui jalonne le parcours entre ces deux bornes: le lent apprentissage de l’amour, avec d’abord les émois adolescents qui conservent pour toujours le charme des commencements (dans le premier couplet), puis les premières expériences de couple, puis l’amour qu’on voudrait être le bon et le grand (« wedded love » )… et pour finir la prise de conscience de la fragilité de l’amour, quoi qu’il arrive et à quelque âge que ce soit.
Musicalement, cette description est parsemée de trouvailles qui me charment à chaque fois. La mystérieuse et délicieuse petite sonnerie de vélo à 0’48, le bref silence à 1’38, et la douce plage de synthé un peu fantomatique qui fait ensuite office de pont avant que les couplets ne reviennent, comme ressortant de la brume…
Les mots qui me viennent en écoutant cette chanson sont innocence, candeur, ingénuité, pudeur, pureté, douceur… L’espace de quelques minutes, un coeur s’est ouvert et s’est mis à nu, a montré sa vulnérabilité, sa difficulté à donner corps à ses rêves, et la mélancolie qui en ressort.
Quand j’écoute cette chanson, je me dis à chaque fois que si une personne était en train de faire cela devant moi, j’aurais envie de la remercier, de prendre soin de sa fragilité, et de m’exposer à mon tour.
Ça s’appelle une rencontre, et c’est beau.